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L’intitulé du nouvel album de Matthieu Malon pourrait finalement résumer toute sa discographie : fuir l’évidence, ne jamais reconduire la démarche du précédent disque, toujours se surprendre et virevolter à rebours des attentes. D’où la très forte emprise de Matthieu Malon sur la pop, l’électro ou le rock en français issus des deux dernières décennies : l’auditeur ne sait jamais ce que lui réserve l’artiste, probablement car lui-même, entre instinctivité et perfectionnisme, ne calcule rien. Il y a chez Matthieu des albums longuement réfléchis, et d’autres qui surgissent à l’improviste – parce que la vie du musicien en décide ainsi. Le pas de côté appartient à cette seconde catégorie.

Après Désamour, album rock, nous attendions un laudanum, donc un pied-de-nez électro. Oui mais non : Le pas de côté est certes un disque (presque) exclusivement composé avec des machines, il s’agit pourtant d’une œuvre chantée en solo. Après Désamour, nous pensions que Matthieu Malon avait conclu un cycle « français ». Là encore, oui mais… non : les thématiques du pas de côté n’ont strictement rien à voir avec les trois précédents opus de Matthieu, et la langue française abordée ici trouve un terrain d’intimité finalement vierge, une façon judicieuse de parler de soi sans nécessairement questionner la difficulté du couple (sujet central des jours sont comptés, Peut-être un jour et Désamour).

Le pas de côté permet à Matthieu Malon non pas de restituer à l’écrit divers souvenirs de son enfance ou adolescence, mais de questionner l’individu qu’il fut un jour, et en quoi ce dernier peut-il correspondre, ou pas, avec l’adulte Malon (empreint d’expériences, qui a des enfants, qui est un musicien libre et respecté). Beau carambolage entre passé et présent, l’un empiétant sur l’autre jusqu’à brouiller, embrouiller, une thématique faussement limpide, en fait totalement insidieuse : on pense au Brian de Palma d’Obsession (le passé se mesure au présent), donc, fatalement, au Vertigo d’Hitchcock (les obsessions d’antan ont-elles une incidence sur l’avenir ?).

Non pas schizophrène – Freud et Jung, dégagez ! –, Le pas de côté est un album dansant (à chaque titre, une mélodie qui tue) dont les questionnements se divulguent avec sérénité. Loin d’un disque « malade » (contrairement aux apparences), le nouveau Malon est l’œuvre d’un musicien heureux de jouir d’un privilège inespéré : composer le disque qui l’enchante. D’autant plus libre et beau que la démarche se fait rare.