> Interviews



C’est une résurrection comme l’industrie musicale en est parfois toujours capable : Les Jours sont comptés, deuxième album fantôme de Matthieu Malon, jamais édité, culte Internet, jalon manquant d’une discographie aussi cohérente qu’exemplaire. Grâce au label Monopsone (dont chaque sortie, décidément, touche la corde sensible – I Love You But I’ve Chosen Darkness, A Movement of Return, Nezumi & Fox), cette collection d’histoires cassées et cassantes, de couples en vrille, d’amours contrariés, peut enfin se ranger dans notre collection Malon / laudanum / ex ex.

Il arrive effectivement qu’un artiste, partant d’un tourment autobiographique, touche à l’universel, à des points obscurs que l’on partage tous. Pas un hasard si Matthieu se réfère ici à Taxi Girl : comme chez Darc / Mirwais, le malheur des musiciens procure le bonheur de l’auditeur. Parce que cela sonne vrai, direct, sans provocation. Parce que l’on s’y retrouve intimement. Matthieu Malon, en plein présent, parle passé et futur…

ADA : Peux-tu rappeler pourquoi Les Jours sont comptés, deuxième album sous ton propre nom, fut « jeté dans le néant de la crise musicale » (comme l’explique le label Monopsone à l’intérieur de la réédition CD) ?

Matthieu Malon : En 2003, cela se passait plutôt mal avec mon label de l’époque. Depuis cinq ans que je travaillais avec eux, je n’avais toujours pas de contrat, tout était extrêmement long et compliqué (se faire payer avec un lance-pierres y compris, forcément comme tout était tacite). J’ai donc décidé de passer par l’étape des démos pour mes nouvelles chansons, afin d’aller démarcher d’autres labels. Car j’avais en tête d’aller enregistrer le disque avec le groupe qui jouait sur scène avec moi à l’époque, à Chicago chez Steve Albini. Excusez du peu, j’avais même déjà demandé un devis.

Les chansons, tel qu’on peut les entendre sur le disque fraîchement sorti en 2016 par Monopsone, n’étaient donc pour moi qu’au stade de démos. Elles ont été composées et enregistrées en grande partie sur l’île de Noirmoutier. Un couple d’amis m’avait prêté la maison familiale et je m’y suis enfermé en solo pendant quinze jours en mars 2003. À l’époque, j’avais même tenu un journal pour le webzine Popnews qui racontait l’enregistrement du projet. Les titres ont ensuite été finalisés à l’été 2003. On a gardé deux titres live, car même si imparfaits, ils montraient bien l’orientation que je voulais prendre au niveau des arrangements. Et puis il y avait déjà le titre « Avant » qui avait été enregistré en studio pour une compilation du webzine Popnews (toujours lui).

Le démarchage sur l’année 2004 a fait chou blanc. Pourtant j’ai vraiment sollicité tous les labels potentiels de France et de Navarre. Face à cet échec, j’ai alors décidé d’ouvrir mon premier site Internet et de mettre les chansons, en l’état, à la disposition de tous et gratuitement.

Photo de Noémie Ventura (2004)

ADA : Du coup, tu as tout de suite rebondi sur laudanum ? Frustration ou élans créatifs ?

Matthieu Malon : Oui, fin 2004 quand tout a été mis en ligne, j’ai commencé à travailler les instrumentaux de ce qui allait devenir le deuxième album de laudanum. J’avais déjà en tête les questions de featuring et j’avais déjà posé quelques jalons. En fait, pour répondre à ta question, un peu des deux, la frustration a engendré une vraie envie d’aller vers autre chose, pour oublier ce four, ce bide magistral qu’était alors pour moi Les Jours sont comptés. À cette époque, je t’assure que je disais à tout le monde que pour moi, le français, c’était terminé.

ADA : Pour revenir sur cet album, parlerais-tu d’une thématique liée au couple (en crise) ? La photo de Stéphane Merveille (la vaisselle brisée) rejoint le propos du disque…

Matthieu Malon : Oui c’est un disque qui parle principalement de deux thématiques : d’abord une rupture difficile, à la fin des années 90. Je n’arrivais pas à la digérer et à m’en remettre, ça se passait pas bien, je trouvais que ça n’avait pas été fait correctement (les assiettes cassées…), que je ne le méritais pas, donc j’avais besoin de sortir, d’expulser tout ça hors de moi.

Et puis j’étais fraîchement parisien, je m’installais peu à peu dans un « confort » de solitude (je voyais beaucoup de monde, d’amis, mais j’étais quand même bien seul, affectivement parlant). C’est un peu le problème de Paris, les rencontres n’étaient pas toujours qualitatives, ou alors très orientées cul, point barre. Cela donne toutes ces chansons, ces fausses rencontres dans le métro, près du canal Saint-Martin, ces regards croisés… Même si je disais le contraire, j’avais finalement très envie de tomber amoureux, mais je m’y prenais vraiment très mal.

ADA : Tu n’as pas toujours le beau rôle dans les textes de l’album. Tu t’exposes sans filtre mais loin de toute glorification. Tu ne juges pas, n’exprimes aucune animosité. On garde l’impression d’instantanés quotidiens, de petits moments (sans héroïsme) dont tu aimes transcender la banalité.

Matthieu Malon : Oui c’était le but, j’avais envie d’essayer de rire de la situation. On dit toujours que le ridicule ne tue pas. Je pense même que les gens ont envie de lire ou d’entendre ce genre de choses, d’histoires, d’anecdotes, ça permet justement de se sentir moins seul et moins bête. Donc le ridicule est bénéfique.

Et puis je voulais par-dessus tout éviter l’écueil de l’auto-apitoiement. Ça n’aurait eu aucun intérêt.

ADA : Dirais-tu que Les Jours sont comptés, inversement à l’album suivant (Peut-être un jour), est plus ramassé dans son propos, plus ancré dans une ligne sans déviation ?

Matthieu Malon : Complètement. Comme dit plus haut, c’est un disque sur les relations garçons-filles, la difficulté à ce qu’elles soient satisfaisantes pour tout le monde, les relations avec les ex, les plans-cul sans lendemain, les plans-cul qu’on rêverait de voir se transformer en autre chose, une interrogation sur l’adultère et ses conséquences… Je vends du rêve, là, hein ?

ADA : L’électricité, à cette époque, avait-elle valeur d’extériorisation, d’adrénaline cathartique ?

Matthieu Malon : Chicago, Albini… Je sentais vraiment qu’aller transposer toutes ces chansons en live, en groupe avec lui aux commandes, cela pouvait donner un son « nouveau ». En gros, du shoegaze à l’américaine (ce qui était rare à l’époque, mais plus maintenant). C’était aussi un album « bilan » des années 90 et de ce qu’elles m’avaient inspiré au niveau pop-rock, comme un constat, une sorte de vue d’ensemble d’où j’en étais au niveau rock. Et puis c’était aussi le résultat des concerts qu’on donnait à l’époque en groupe, où ça envoyait quand même pas mal. Tout cela me portait. Je n’entendais aucun groupe sonner comme tel en France en 2003, j’avais envie de proposer autre chose. La catharsis se trouvait donc plutôt côté textes que côté musiques.

ADA : On retrouve des fidèles : Sébastien Gautron (guitares) et Stéphane Merveille (photographies et artwork). Comment définirais-tu le travail avec ces acolytes ? De même, peux-tu parler de ta collaboration avec Noémie Ventura (présente sur trois titres) ?

Matthieu Malon : Il y avait d’abord le groupe de l’époque, le noyau dur ; on devait aller enregistrer en bande, il était donc normal que ces personnes soient sur les démos, Sébastien est mon compagnon de longue date (même dans le projet laudanum). Il y avait aussi déjà PE au son (il a mixé les démos et a fait le remastering en 2016, avant que le disque parte en production). Et puis la collaboration avec Stéphane Merveille (qui a déjà fait trois précédents visuels pour moi) s’est poursuivie tout naturellement en 2016, au moment de la sortie en CD. Sa proposition d’artwork était une évidence quand il me l’a présentée, même si on a d’abord travaillé sur deux autres idées.

Noémie, c’était justement la photographe/amie avec laquelle je travaillais en 2003. Elle a fait beaucoup de photos de moi, en concerts mais aussi des portraits. Et puis je cherchais une voix féminine pour les chœurs et elle s’est proposée. Elle chante d’ailleurs également un titre sur le deuxième album de laudanum. Depuis plus de dix ans, elle vit en Angleterre donc on ne se voit plus, mais on échange toujours sur la Toile.

ADA : « Les Jours sont bien trop longs » (reprise de Taxi Girl) se retrouve, quelques années plus tard, sur ton EP hommage à Daniel Darc (28.2.2013). En fait, cette reprise t’habitait depuis longtemps ? Quelle place occupe aujourd’hui Taxi Girl dans tes amours ?

Matthieu Malon : Oui, à l’époque du EP, à la mort de Daniel, c’était normal de mettre ce titre (enregistré en live en 2001 aux Rockomotives de Vendôme) en face B. On s’est longuement interrogé pour savoir si on le laissait sur la version CD de 2016, mais pour moi il ne pouvait en être autrement. Mes chansons de l’époque étaient la continuité de cette chanson de Taxi Girl, qui résume si bien, comme aucune autre, la difficulté d’aimer. Cette chanson aurait figuré sur la version « studio », coûte que coûte. Aujourd’hui, j’écoute toujours le groupe régulièrement, les albums solos de Daniel également. J’ai récemment acheté la version remasterisée de Crèvecoeur avec tous les fabuleux inédits, ce disque est un maillon important de la chanson française. Toutes ses chansons sont intemporelles, parlent à tout le monde et seront toujours d’actualité dans mille ans.

ADA : Voir un album « maudit » retrouver une seconde vie, c’est rare. Quelle est, aujourd’hui, ton sentiment à l’égard de celui-ci ?

Matthieu Malon : Je suis très fier, très heureux qu’il voit le jour cette année, c’est la photographie d’une époque enfin développée. On en parlait depuis quelques temps en rigolant avec le label. Un jour avec Stéphane (Merveille), on a dit à Monopsone : « Allez, on le fait ? » Et zou, c’était parti. Aussi simple que ça !

C’est une belle aventure, ça m’a fait tout bizarre de fermer le téléchargement gratuit il y a quelques semaines sur le site, je me demandais si quelques personnes n’allaient pas crier « au voleur ! ». Mais non. Après, une part de moi regrettera toujours de n’avoir pas mené le projet jusqu’au bout.

ADA : Niveau actualité, tu as le droit de parler des reprises que tu nous concoctes depuis quelques temps déjà ?

Matthieu Malon : Il y avait depuis longtemps un projet de reprises de chansons anglophones traduites en français. J’avais une sélection d’une douzaine de titres. Mais jamais vraiment le temps de m’y mettre. Quand on a envisagé de sortir un EP (le prochain), j’ai proposé d’y ajouter deux reprises sous cette forme. Donc j’en ai choisi deux, celles qui me tenaient vraiment le plus à cœur. Cela sortira prochainement mais je ne peux pas encore révéler les noms des chansons. Je crois que c’est franchement réussi.

ADA : Quelques infos sur le prochain disque (sous le nom Matthieu Malon) ? Tu es toujours amoureux de ta nouvelle basse curienne ?

Matthieu Malon : Oui, en parallèle à cet EP qui est bien avancé et qui sortira avant la fin de l’année, je travaille sur le quatrième album en français. Les musiques sont écrites, enregistrées pour la plus grande partie et je travaille en ce moment sur les textes. Le disque a pris un virage plus new-wave et noir que le précédent. J’ai toujours beaucoup écouté The Cure, mais j’ai effectué un vrai travail de recherches ces derniers mois, pour suivre des pistes qu’ils ont eux-mêmes suivi depuis très longtemps. J’ai notamment acheté une Fender Bass VI, un instrument incroyablement inspirant qu’utilisait The Cure à ses débuts (un peu moins maintenant) et qui était responsable de leur son « unique ». Je crois avoir réussi à être suffisamment proche de leurs résultats, sans que cela sonne comme de la redite ou du plagiat. Je pense que je me prendrais forcément quelques coups des puristes, mais j’assume vraiment l’orientation de ce disque. Là aussi c’était un projet qui me tenait à cœur depuis pas mal de temps. C’est un disque très court mais de totale liberté artistique. Je fais tout à la maison et l’album aura le mérite de n’avoir rien coûté (à l’exception de l’achat de la Bass VI). Il devrait sortir début 2017.

ADA : Toujours pas de concerts en perspective ?

Matthieu Malon : Quand les chansons seront finies, j’y réfléchirai. Pour le moment, je n’ai vraiment pas du tout le live en tête.

ADA : Tu es un auditeur compulsif. Un mot sur les derniers Sophia, Fujiya & Miyagi, The KVB et… Aldous Harding ?

Matthieu Malon : Ben The KVB justement, j’écoute beaucoup le disque depuis quelques semaines et je m’y retrouve pas mal car ils ont pris la direction que j’ai voulu suivre pour mon prochain disque. Par moments, c’est même assez bluffant tellement cela y ressemble.

Sophia : le bonheur de revoir enfin cet artiste très cher à mon cœur. Le disque est un de ses sommets personnels, à côté du premier et des God Machine.

Fujiya : Je découvre ces jours-ci le nouvel EP. L’album précédent m’avait un peu ennuyé (pour être poli). Là je les retrouve en grande forme, hâte d’entendre la suite.

Aldous Harding  : l’album dépouillé 2015. Je viens de la voir en concert la semaine dernière, j’ai pris une énorme baffe, les nouvelles chansons du prochain album sont exceptionnelles. Elle a une véritable personnalité et identité forte (contrairement à ce que je peux entendre parfois). Une tessiture de voix très changeante au fil des chansons, c’est vraiment impressionnant. À suivre de près cette année.

Gigantesque merci à Stéphane Merveille pour les photos

www.monopsone.com/2016/03/matthieu-malon-compte-les-jours