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A comme L’Astrolabe : Quel est ton meilleur et ton pire souvenir dans cette salle de concert ?

Matthieu Malon :Ça démarre fort ! J’ai évidemment énormément de souvenirs dans cette salle. J’y vais depuis son ouverture, je participais même aux premières réunions de discussion avant sa création avec mon asso de l’époque. Donc c’est difficile d’en isoler deux comme ça.

Si on parle de pire souvenir en terme de concert, je pense que c’est Tricky il y a quelques années, c’était vraiment pas bien, alors que j’adore ses derniers disques. J’ai aussi le souvenir d’un groupe français qui avait engueulé le technicien de la salle en direct dans le micro pour un problème technique. Et on avait su après qu’il n’était pas en cause, que c’était eux qui s’étaient trompés dans le câblage, le genre de truc qui ne se fait pas… Ça m’avait passablement énervé !

Quant au meilleur, c’est donc encore plus difficile. Déjà il y a sûrement les quelques fois où j’y ai joué avec Malon, Laudanum ou Ginger Ale…C’était globalement toujours bien (à part la dernière fois avec Laudanum). Bon j’y ai vu DJ Shadow de très près et ça restera gravé à vie je pense. Mais bon s’il faut en garder un, sans doute la première fois que j’ai vu Peter Kernel dans le club. C’était génial, intense, magique.

C comme le 108 : Un autre endroit où tu as souvent joué, comment tu définirais son importance dans la vie artistique Orléanaise ?

Matthieu Malon:Inespéré, encore plus que l’Astrolabe, le 108 c’est le lieu que j’ai toujours rêvé pour Orléans. Un lieu pareil quand j’étais lycéen ou étudiant, ça n’existait pas et les groupes galéraient pour répéter dans les garages des parents. On se tuait les oreilles, on jouait sur du matos pourri, on n’avait rien pour enregistrer si on voulait faire une maquette. Bref, le parcours du combattant et on aurait adoré pouvoir répéter dans les conditions du 108, puis éventuellement y jouer. Après c’était très formateur pour nous de galérer mais bon…

Et là je te parle que de la partie musicale du 108, mais c’est valable pour tous les arts, toutes les disciplines. Un véritable lieu désormais incontournable et qui en plus a du caractère.

F comme « Froids » : Tu fêtes les 20 ans le 20/04 de ton premier album « Froids » que tu ressors pour l’occasion en vinyle en tirage limité à 100 ex. Qu’est-ce qu’il représente à tes yeux ?

Matthieu Malon : Mon premier bébé, c’est forcément très important. A l’époque, je vivais un rêve, sur un petit nuage. On a mis du temps à choisir les maquettes des chansons qui allaient figurer sur le disque mais ensuite l’enregistrement s’est passé relativement vite et dans des conditions idéales. On faisait ce qu’on voulait, on avait un studio à dispo avec PE et on a beaucoup travaillé. Maintenant avec le recul, j’en suis toujours très fier, je trouve qu’il vieillit bien.

Un ami m’a dit récemment : « Froids » est toujours d’une étonnante modernité. Je trouve que c’est assez vrai, en tous cas, je ne renie rien et je le réécoute avec plaisir. Et comme il n’est pas dispo en format physique, j’ai eu envie de me faire ce cadeau, un vinyle pour les 20 ans, en espérant que l’idée plairait.

C’est quand même un peu comme une boucle : avec « Froids » je signais en 2000 mon premier album sur un label. 20 ans plus tard, je ressors le disque en solo, après une dizaine d’albums, plein de projets et au moment même où j’apprends que mon label met la clé sous la porte et que je suis sans maison de disques. C’est le signe évident d’un cycle qui s’achève, d’un nouveau qui commence. C’est excitant et cette ré-édition c’est parfait pour passer à autre chose.

L comme Laudanum : Ton autre projet à tendance électro que tu conduis depuis plusieurs années et qui va t’accaparer dans les prochains mois. Est-ce que tu peux nous parler de ce qui t’a amené à créer ce projet et de ton actualité en 2020/2021 avec Laudanum.

Matthieu Malon:En 1996, j’expérimentais de nouveaux terrains de jeu musicaux car mon groupe Joe Shmo s’arrêtait après 3 années bien intenses. Je partais dans tous les sens. J’ai monté 3 projets cette année-là : l’envie de faire une cassette entièrement en français, une assez expérimentale (sous le nom de Empty) qui sera mes premiers pas vers le sampling et une 3e en anglais, electro, que je nommerai alors Laudanum.

Ces 3 projets n’étaient pas amenés à durer et finalement il n’y aura qu’Empty qui aura une vie éphémère. Laudanum c’était quand même un peu la continuité de Joe Shmo au début : des chansons en anglais avec un boite à rythmes. Et puis j’ai découvert DJ Shadow et, quand j’ai pu avoir mon premier sampler, je me suis mis à lorgner vers l’abstract hiphop que j’ai mélangé à mes influences new wave.

En 1997, on s’est mis à travailler avec PE sur des versions un peu plus ambitieuses des démos de laudanum et un premier titre est sorti sur « Salade de Bruits », compilation éditée par des copains (et sur laquelle on trouve un titre de Jérôme Minière et un titre de John Zerand, futur membre de Ginger Ale). Puis 2 ans après, ayant entendu ce titre et quelques maquettes, c’est JF du label Acetone qui me donnera ma chance avec un premier 45 tours de laudanum. Les gars de monopsone ont entendu ce disque et je crois que ça a donné l’envie d’en faire un chez eux aussi. C’était parti !

Depuis 2018 et alors que j’avais annoncé la fin de laudanum en 2010, j’ai remis le pied à l’étrier et je travaille de nouvelles idées. Depuis deux ans, ça n’avance pas bien vite car j’ai eu plein d’autres projets sur le feu mais là je m’y consacre exclusivement depuis quelques semaines. Mais je sais déjà que ça va être assez long. Je n’ai plus de label donc j’ai le temps, je peux prendre le temps de réfléchir, de peaufiner. Et puis j’ai quelques collaborations que j’aimerais mener à bien et ça aussi, ça prend du temps. Mais bon cette année, je ferai aussi quelques sets électro de Laudanum et j’espère y intégrer quelques nouveaux morceaux quand je serai prêt.

Photo de Caroline Bartal

M comme Monopsone : On vient d’apprendre la disparition de ton label. Comment penses-tu tourner la page ? Ne serait-ce pas une opportunité pour rebondir vers d’autres horizons et d’autres ambitions ?

Matthieu Malon : J’en parlais plus haut. Forcément ce genre de nouvelles fait beaucoup réfléchir, j’ai d’ailleurs pas fini de réfléchir. C’est triste, tous les gens de monopsone sont des amis et c’était une belle aventure. Mais il faut donc passer à autre chose et on va s’y employer. Pour les chansons en français, je ne sais pas, pour le moment le projet est mis de côté donc on verra le moment venu. Mais pour laudanum c’est certain que j’aimerais que le projet soit porté par un label. Je pense que j’organiserai quelques écoutes quand j’aurai de la matière et j’espère pouvoir donner vie à ce disque avec des renforts. On verra, c’est vraiment beaucoup trop tôt encore pour le dire. Je ne sais pas exactement où je vais musicalement, je cherche beaucoup, je tâtonne.

O comme Orléans : Que représente cette ville à tes yeux ?

Matthieu Malon : J’y suis né, rue de la république, là où il y a la Fnac pour être précis. J’y ai vécu beaucoup de choses, je suis parti à 18 ans pour la première fois et je suis revenu 3 fois. A chaque fois quand je pars d’Orléans, je pense que c’est la bonne et puis je reviens. La dernière fois en 2006. C’est une ville qu’on peut critiquer pour plein de raisons mais qui vieillit plutôt bien. Il y a beaucoup plus de choses à faire que dans les années 90. Mais bon c’est sûr que quand tu as vécu 10 ans à Paris, Orléans peut sembler très calme, parfois. Je suis content d’y élever mes filles, près de mes parents, de mes racines.

V comme Le Village Vert : Ton premier album est sorti sur ce label prestigieux. Avec le recul comment vois-tu cette aventure ? Est-ce que à ce moment là tu t’es dit que tu pourrais vivre de ta musique et faire « carrière » ?

Matthieu Malon : Oui je l’ai pensé sans avoir véritablement essayé et sans m’être donné les moyens d’y arriver. La « signature » sur ce label a coïncidé avec mon premier vrai job à Paris, c’est aussi ce qui m’a poussé à venir vivre à Paris en septembre 1997. J’avais 25 ans, j’étais plein d’énergie et je pouvais aisément avoir deux vies : la journée au travail et la nuit avec la musique (les concerts mais aussi écrire et enregistrer le soir). Donc quand j’ai compris assez vite que vivre de la musique demandait quelques concessions à mes aspirations musicales, j’ai choisi de continuer à travailler. 20 ans plus tard, au niveau énergie c’est plus difficile mais finalement je crois que je ne regrette pas ce choix (ou ce non-choix diront certains…).

W comme Webzine : Beaucoup de webzines te soutiennent à l’instar de la presse plus traditionnelle qui en-dehors de Magic, Les Inrocks et La République du Centre reste plutôt timide voire inexistante à ton égard. Comment en général te situes-tu par rapport aux médias et comment gères-tu tes relations avec eux ?

Matthieu Malon : Je ne les drague pas, je prends ce qui vient. C’est peut-être un tort. Mais j’essaie de me rendre dispo, d’être vrai dans tout ce que je dis et d’être généreux. J’ai eu globalement de la chance car quand j’ai débuté avec « Froids » j’ai pu bénéficier d’une belle campagne promo autour du disque avec des gros médias.

20 ans plus tard, c’est une autre affaire, les webzines ont en partie pris le relai mais c’est quand même difficile car tout le monde est extrêmement sollicité et il n’y a jamais eu autant de sorties musicales. Surnager, c’est compliqué et sans attaché de presse, sans quelqu’un qui s’occupe justement d’intéresser les journalistes de tous les médias à ton disque, tu ne peux pas t’en sortir. On voit bien aussi que les réseaux sociaux ne servent plus beaucoup à développer ta « fanbase ». Ça a fonctionné pendant quelques années mais c’est terminé. Je sais aussi que je ne suis pas mon meilleur vendeur.

Alors il faudra aussi réfléchir à ça pour les prochaines sorties, si elles se font en auto-production : comment les rendre un tant soit peu visibles… C’est une vraie question et je n’ai pas la réponse pour l’instant.