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Il n’est pas donné à tout chanteur d’avoir un timbre reconnaissable, empreinte digitale pour l’oreille, corps tout entier lové dans les harmonies et le souffle captés par un micro. Une voix de comédien qui sait dire, raconter, faire vivre une histoire.

Frànçois déconstruit la chanson, non pas dans chaque chanson seulement, mais aussi et surtout dans leur juxtaposition. Et justement, le propos est au voyage, à l’errance, au vagabondage. Dans les espaces de la planète Terre et les strates de l’atmosphère. Dans la mémoire aussi, celle des rencontres, des musiques croisées, d’un vocabulaire patiemment construit au gré des déracinements volontaires.

Foreigner est l’entame, le programme, le perron avec tapis rouge d’apparat. Se sentir étranger. Être ange, c’est étrange, dit l’ange. Frànçois a depuis longtemps montré combien être ailleurs fournit matière à mettre en forme.

Coucou est optimiste. Enfin, pendant quelques secondes seulement. Les amants se sont détachés, et ce « Coucou, comment vas-tu ? » lu sur un téléphone devient on ne peut plus cruel. Mais si les sentiments sont amers, le ton est à l’élégance. Toujours.

Par le passé n’est pas un duo avec Dominique A. Pas un hommage. Une appropriation, peut-être. Depuis toujours, citation, reformulation, confrontation aux maîtres sont les ressorts puissants et féconds pour trouver sa voie propre. Cinéastes, peintres, musiciens digèrent le gâteau des autres, puis fabriquent leur dessert. Ce qui n’empêche pas de dire merci. Comme ici. Et les invités peuvent se régaler, sans se poser de questions. Pour soutenir ce point de vue, sont convoqués les doux marimbas de Steve Reich, toupies légères et derviches plus proches de la danse que de la transe.

Lee-ann & Lucie retient le tempo pour un déhanché heureux et sensuel, que George Benson pourra écouter sourire aux lèvres si ces demoiselles voyagent jusqu’à lui.

Tourne toujours autour ose l’assonance ET les claps outrageusement eighties. Cela donne un goût de Banana Split à cette romance qui semble ne pas aller de soi.

Gold and lips pose le bois chaud de la clarinette en introduction, pour une douceur qui évoquera le baiser échangé. La tendresse d’une étreinte rêvée. Les corps qui s’éloignent.

Dans un taxi conclut l’exploration du labyrinthe mental et territorial de Frànçois par une série d’anecdotes poéticomiques. Par une nuit banale, le narrateur à l’arrière d’un taxi vit une aventure formidable, en baissant simplement sa fenêtre.

Les textes sont écrits, et chaque parole est musique, chaque phrase fait sens. Le soin apporté aux sonorités des mots, qui en aucune manière ne s’opposent aux sons, charment. De tout cela se dégage une intelligence, une inspiration, des désirs puissants mais tenus.

Et Banane bleue au fait ? C’est la représentation d’une puissante zone économique et démographique partant de Londres et rejoignant Milan en passant par la Belgique, l’Allemagne (un peu la France...) et la Suisse. Son nom est inspiré de la forme courbe de cette dorsale et de la couleur dominante du drapeau de l’Union européenne.

Alors, Frànçois and the Atlas Mountains, groupe engagé ? En tant que passant poète et peintre, l’artiste regarde le Brexit, la Belgique sans gouvernement (ou avec, on ne sait plus...), la Suisse plus Suisse que jamais, l’Italie systématiquement chaotique. Il s’approche au plus près des européens et européennes tissés et nourris par leur culture certes, irrévocablement métissés surtout. Construire un pont pour aller piller le voisin du Sud, puis l’empêcher de venir voir ce qui se passe de l’autre côté : ça ne marche pas.

« La terre est bleue comme une orange

Jamais une erreur les mots ne mentent pas

Ils ne vous donnent plus à chanter

Au tour des baisers de s’entendre »

J’aurais dû me taire. Paul Éluard a déjà écrit la plus belle chronique sur cet album.