C’est un vaste de débat depuis que les sociétés ont inventé la distraction à toutes les heures du jour et de la nuit ; avons-nous le droit de nous ennuyer. Pouvons-nous autoriser de ne rien faire et de ne pas vraiment nous en satisfaire, sans passer pour un objet d’étude ? L’ennui est pourtant une source inépuisable pour les inspirations futures. Cet état, pendant lequel nous ne nous relayons à rien d’autre que nous-même, est l’engrais d’une création possible. Parfois, nous pouvons le ressentir alors que nous nous adonnons pourtant à une activité, et que parfois celle-ci fait partie de ce que nous aimons faire. Combien j’ai pu sentir le point ultime de la platitude émotionnelle en regardant jouer l’Espagne de Del Bosque. Combien de spectacles de fin d’année de l’école de ma progéniture purent me plonger dans un abîme me délestant totalement d’un cerveau qui ne demandait qu’à pactiser avec le bouton OFF. Combien de siestes amorcées alors que l’écoute d’un disque devait aboutir à un papier. C’est bien ce qui m’a traversé à l’écoute du très (très) long nouvel album de John Grant. Certes, le disque est d’une densité évidente. Certes, les sujets abordés ne sont pas les plus faciles, mais les tragédies funéraires peuvent elles aussi faire l’objet d’un traitement ne lâchant pas notre éveil. Certes, l’écriture n’est pas une possibilité, mais est le centre névralgique de ces compositions, encore, faut il que celle-ci soit à la fois campée et dégage quelque chose qui soulève l’âme ou tout du moins l’attention. Or, si les premières chaleurs peuvent à elles seules expliquer la léthargie dans laquelle je suis à cet instant plongé, l’écoute de ce très bon disque de John Grant (car oui, c’est paradoxal, mais ce disque est bon) aura eu raison de mes forces, se rangeant au côté d’autres illustres œuvres qui ne dégagent rien d’autre qu’un sentiment mièvre et fatigué d’une fascination face un disque fort, mais qui ne frappe pas à la porte de celui qui fait fonctionner notre corps. Un voyage au bout d’un bel ennui.