> Critiques > Labellisés



Je suis là, en train d’écouter le nouvel album du Chapelier Fou, quelqu’un que je connais depuis pas mal de temps (Metz c’est petit, on se connaît tous), dont j’ai suivi l’évolution, ou plutôt l’expansion, qu’elle soit artistique ou commerciale. Et là je manque de mots, car lui en a créé de nouveaux pendant ses années de création. Comment vous décrire ce disque ? Et bien on va essayer, mais autant vous le dire, je ne pourrais que vous montrer la porte, vous proposer la clé, et vous laisser plonger de vous même dans cet univers parallèle. Dès le premier morceau on est happé par cette boulimie de son, cohérente avec le titre, et des rythmiques quasi épileptiques. Avec "Cyclope & Othello", il réussit seul et en une fois ce qu’Archive essaie de faire depuis 15 ans à plusieurs. Je sens surtout que sa vision déjà bien globale s’est encore élargie, jouissant de sa liberté artistique pour le meilleur. La construction du morceau est hallucinante, comme s’il revisitait lui-même son thème à travers des prismes différents sur 9 minutes. La ligne mélodique est très cinématographique, les arrangements riches., la guitare apporte une touche excellente au tout, j’ai eu l’impression d’entendre un vrai groupe. Chaque élément du disque est composé comme si un maître dudit élément s’était déplacé. Je parle de composition, pas d’un quelconque niveau technique qui n’aurait aucune place dans l’émotion qui bouillonne ici. Les rythmes sont simplement terribles, merveilleusement pensés, entre complexité, rebondissement (qui pourront rappeler Aphex Twin ou Amon Tobin et son "Bricolage") et simples rythmiques efficaces. Pour les mélodies c’est de même. On le connaît "virtuose" du violon, mais il est avant tout un fin mélodiste, qui aime aussi les sauts mélodiques, nous prenant à revers avec un accord inattendu, créant des trous d’air dans ses évolutions d’accords pour mieux relever le tout, nous emportant loin. Techniquement, le son est exceptionnel, restituant à merveille chaque détail de ce fourmillement, de cet univers pareil au monde discret (invisible ?) qui vit sous les feuilles. Le tout saupoudré d’un effet cinématographique que viennent souvent accentuer les bricolages rythmiques, comme si on passait de la HD au super 8, que l’on remontait le temps des technologies. "Vessel Arches" amène une sorte d’aération, tout en délicatesse, avec un beat simple et percutant, la voix sensible de Gérald Kurdian aka ThisIsTheHelloMonster , et cette jolie mélodie aux sons subtils. Le morceau donne l’impression d’entendre une extension de Talk Talk surtout parce que Matt Elliott me fait penser à Mark Hollis sur le coup. "Dans P. Magister" il réussit à cumuler l’évidence d’un Air, une touchante naïveté qui lui est propre, et cette construction électronique alambiquée que les suscités n’oseraient jamais. Je ne pourrais pas décrire chaque titre, mais rien que "Fritz Lang" m’a scotché, par cette étrange impression d’avoir entendu une description musicale aussi anachronique que les films du maître. Mélange de mélancolie d’un passé avec une résonnance dans le présent et déjà son écho dans le futur, devenant la B.O parfaite d’un paradoxal visionnaire nostalgique. "Protest" est carrément dramatique, que ce soit au niveau mélodique ou rythmique. "P Magister" sonne par contre plus enthousiaste. Je ne trouvais pas d’autre mot. Il faut dire aussi que ce qui rend sa musique fascinante, c’est que Louis est un vrai mélodiste. Il peut passer du beau au sombre, au dérangeant, au sautillant, au nostalgique, traduisant ses humeurs. C’est un talent qu’aucune technique ne peut remplacer. Quand on sait qu’il a les deux...Donc avant tout, il y a des lignes qui nous embarquent loin, nous enchantent, mémorisables, accessibles, mais dont les variations subtiles nécessiteront autant d’écoutes que possible. Ce sont de vraies lignes de force, qui ont la suprématie, et facilitent l’adhésion. Avec "Le tricot", on a un de ces morceaux étranges, qui aura autant d’interprétation que d’auditeurs. Personnellement j’ai imaginé Philip Glass composant pour Final Fantasy, et regardant la pluie tomber, car n’oublions pas qu’on est à Metz. "Moth, Flame" finit ce disque majestueusement avec ses boucles de voix quasi hypnotiques. Toute cette frénésie est très équilibrée, l’enchaînement des morceaux se fait très naturellement, apportant chacun à sa façon une nouvelle facette à l’ensemble. Aussi dingue qu’un Mugison qui serait passé au violon, notre Chapelier développe son monde, et nous invite avec un "Invisible" génial, si dense qu’on pourra y revenir et découvrir de nouveaux détails des années durant, et tout ça sans nuire au plaisir d’une écoute simple, à la possibilité d’une écoute distraite. Tout semble naturel, et ça c’est vraiment fou. Le Chapelier Fou rend bien honneur à Lewis Carroll, en inventant aussi ses propres syntaxes, se créant un langage propre, seul prompt à exprimer toute sa créativité. Une musique complexe, ultra travaillée, mais qui réussit à éviter le piège de l’érudition. A découvrir absolument, à suivre, à aller vivre en concert.

Barclau