Comme chaque été, le moindre village se pare d’oriflammes, et le comité des fêtes locales est mis à contribution pour l’organisation de la fête de la pomme, du boudin ou du jarret de porc, l’essentiel étant de promouvoir la production locale comme le savon de Marseille dans les Vosges. Et puis il y a les fêtes médiévales. Passé l’entrée du stade de foot local, vous êtes transportés dans le passé. Micheline cadre financiére dans une entreprise de vente de papier fil une pelote avec abnégation, Jean-Luc, manager d’une plateforme de vente en ligne de livres de Bruno Lemerre taille du bois avec une hache et Michel, cardiologue à la retraite, travail le metal pour réaliser des pointes pour la pêche à la baleine avec au pied ses Mephisto anachroniques. En fin d’après-midi, arrive le moment du concert. Là des histrions aussi crédibles que Tchouameni au milieu de terrain de l’équipe de France de foot, se la jouent bardes et ménestrels, provoquant chez moi une envie de signer, alors que je ne pouvais m’y résoudre tellement, je suis de gauche, la pétition pour la peine de mort pour les musiciens gênants.
La Cozna (la cuisine en savoyard) ne participera (à priori) à aucune fête médiévale, et pourtant le collectif pioche allégrement dans une série de chansons traditionnelles françaises issues de collectages réalisés au XXe siècle (dont certaines terribles) . Ces chants de femme qui traite avant tout de l’amour et de la violence et la liberté, faisant écho aux luttes féministes contemporaines (Là-haut, dedans, la Tour est une chanson terrifiante ici magnifiée par un traitement cataclysmique.). Ce sont des histoires fascinantes ; comment ne pas trembler de terreur à l’écoute de Rosette (amour choquant éviscéré par un constat froid et grinçant de la jeune) ou se prendre de tendresse pour Marguerite et son gosier jamais asséché. C’est aussi une musique transfigurante, orchestrée par Clémentine Ristord (clarinette basse, saxophones, boîte à bourdon), avec à ses côtés Pierre-Antoine Despatures (contrebasse, percussions), Clémence Baillot d’Estivaux (chant, violoncelle) et Benjamin Garson (guitares). Ces chansons d’un autre temps profitent d’une ambiance, certes pas éloignée de l’époque (le chant n’y est pas pour rien) mais elles sont comme transfigurées par un traitement, des arrangements leurs donnant, non pas une patine contemporaine, mais la couleur que les historiens peinent à rendre compte, lorgnant vers une forme d’idéal, là où le collectif La Cozna trouve des impuretés, des craquements, une électricité nouvelle (Les Amants sont Volages comme la rencontre entre Lee Ranaldo et Hildegarde de Bingen). C’est tout ce qui fait la différence dans ces relectures, une puissance évocatrice sur des chansons qui n’en demandaient pas tant. Subjuguant de bout en bout, dès son Réveillez-Vous, et jusqu’au Songez à Votre Monde, deux assujettissements à vous réveiller face à cette saloperie sourde qui rôde depuis des siècles et qui semble enfin avoir un projecteur dans la face. La Cozna réalise avec Ni Nuit Ni Jour bien plus qu’un disque, c’est une œuvre du passé pour la génération présente, sans artefact, mais avec une sourde rage à peine voilée par le draper soigné de chansons aux images vertigineuses. Grand disque pour tenter de quitter le rythme inquiétant des saisons et de ses périodes obscures. Fascinant.