Dans les couloirs du métropolitain parisien, rentrant de Bretagne avec mon fils cadet, quatorze ans, toutes ses dents, presque aussi beau (et intelligent) que son père, la tête pleine de projets (dont la création d’une société de jeux vidéos nommée Rainy Summer, en référence à la semaine pluvieuse que nous venions de passer à Concarneau), mon regard a été accroché par une affiche publicitaire relative au nouvel – et troisième – album du groupe texan Cigarettes After Sex, auquel (jusqu’à ce jour) je ne m’étais jamais intéressé, tant le nom du trio mené par Greg Gonzalez me paraissait naze.
La cigarette après l’extase, évidemment, on sait tous – non fumeurs y compris – de quoi il retourne. Délassement, soulagement, récompense, ce genre d’âneries. Alors certes, la qualité de la musique influe sur la perception que nous avons d’un patronyme (Pavement, si musicalement c’était nul, on trouverait le nom nul), mais il est évident que certains patronymes coupent toute envie d’aller plus loin, et même si je sais que Cigarettes After Sex cartonne auprès d’auditeurs de tous âge (étonnant, et rare), bah moi jusqu’ici je pensais m’abstenir.
Sauf que les visuels sombres, sauf que du temps libre en été pour écrire, sauf que mon maudit esprit affamé qui m’incite à la curiosité : franchement, j’ai quoi à perdre ?
Vous me direz, ADA est passé à côté des deux premiers albums, peut-être à raison, peut-être à tort, mais il y a qu’on ne peut pas chroniquer tous les disques (ni gagner tous les matchs, comme l’exprimerait avec fausse bonhomie un Didier Deschamps décontracté du bulbe, persistant à sélectionner des poulets sans tête en lieu et place de joueurs capables de réciter des harmonies footballistiques – à son grand dam, peut-être, à notre détriment esthétique, assurément : de Platini à Zidane, en passant par Griezmann, ce type de joueur est rare) (le règne de Kyky 1er m’effraie, je crains un retour aux années Ribery Anelka Evra, la team de la honte) : je me rassure comme je peux, un des morceaux (Dreams From Bunker Hill) évoque le génial (et dépressif) (donc génial) John Fante, même s’il ne s’agit que d’un auteur mineur du foisonnant 20ème siècle américain, et je subodore l’absence de créativité, au vu de l’intitulé de l’album – X’s, ça sonne comme le nom d’un parfum cheap faussement chic de chez Paco Rabanne, Armani ou Hugo Boss, le genre de soupe coupée à la flotte qu’arborent – du slip Kaporal jusqu’au cou tatoué – les blaireaux sans odorat ni goût en quête de leurs moitiés nimbées du fameux Angel de Thierry Mugler. Conseil avisé, forcément avisé puisqu’il vient de moi, mille ans d’expérience au sein de la crétinerie, conseil récemment donné à mes deux fils : si une nana porte du Angel, tu te barres, sauf si tu veux devenir coiffeur, acteur de télé-réalité ou politicien.
Et donc, vous sentez le truc venir, ça vient de loin, ça vient de moi, anecdotes à la con ou frigo rempli de bières, de bières et de flemme rhétorique, oui, je retarde le moment où je vais me plonger dans le nouvel album des clopes après l’extase, alors que leur leader, Greg Gonzalez, régulièrement évoque en interview son affection pour Françoise Hardy, Miles Davis et les Cocteau Twins : reste à voir avec quelle noble colle intellectuelle tout ce petit monde tiendra, ou si comme souvent il ne s’agit que de louables références déconnectées du produit final.
Allez. Premières minutes. On a affaire à une sorte de dream pop vaguement shoegaze (les guitares électriques réverbérées), avec un chant suave collé au microphone, murmurant des mélodies parfaitement anecdotiques, suivant des grilles harmoniques desséchées, et malgré tout, étrangement, l’ensemble – dix compositions assez courtes – fonctionne à merveille : une fois passés les (mes) à priori, on se laisse happer par l’ambiance minimaliste, sobre et soft, et surtout par cette capacité à faire beaucoup avec peu : en ce sens, une fois l’auditeur adapté à la linéarité des chansons de Cigarette After Sex, il suffira d’un magnifique Hideway smooth & beautiful ou des refrains de l’addictif Holding you, Holding me pour toucher en plein cœur.
X’s, c’est Vampire Weekend au ralenti, pas plus, pas moins, ça fonctionne super bien dès lors que l’on admet que le lent est cool, d’une coolitude dark qui parle à tous : Dark Vacay vous plombe et vous élève, un seul move, le haut est le bas, le bas très haut, quand on déprime le ciel devient le sol, et vice-versa. Plus loin, défaites existentielles (Baby Blue Movie), films (noirs) (internes) inachevés (Hot), rêveries paralysées (Dreams From Bunker Hill) : je pensais tomber à bras raccourcis sur Cigarettes After Sex (au débit : le nom du groupe, son public informe, la fadeur sonore), mais quand minimalisme, délicatesse et sens de la mélodie s’agglomèrent, j’abdique, j’adhère, je kiffe, textes à l’os, chant au bord des lèvres, arrangements discrets, toujours pertinents : inattendu au moment de rédiger cette chronique, tant j’attendais peu de X’s, qui est rien de moins qu’un excellent album.