"Cinéma ! Cinéma !" comme le chantait Benoît dans ce film belge du début des années 90.
Cinéma marque le retour d’un habitué de nos pages, que ce soit pour ses propres productions en solitaire ou à l’occasion de ses multiples collaborations, avec sa compagne de ooTi, son alter égo Arnaud Le Gouëfflec, ou aux futs derrière Delgado Jones (ils ont d’ailleurs tous les 3 participé à l’album).
Et si se lancer dans un inventaire exhaustif de sa pléthorique discographie relèverait de la démence à l’état pure, ce disque marque pourtant un tournant majeur, un virage habilement négocié, avec le choix (définitif ?*) du chant francophone. C’est en effet la première fois qu’il s’attaque à l’écriture dans sa langue natale, et si Arnaud Le Gouëfflec lui a donné un coup de pouce pour Katell et L’ADN, il signe le reste seul, et assume des textes surprenants de maturité, tant l’exercice pouvant se révéler périlleux.
Si les saynètes qu’il décrit dans ses chansons gardent un côté très visuel, et malgré son titre et ses emprunts sonores, cet album me semble pourtant moins riche en références au grand écran qu’à son habitude. C’est en effet avec sa première trilogie dédiée à Star Wars et son hommage à John Carpenter que nous avons découvert (et ensencé) ses productions solo à À Decouvrir Absolument. À ses heures perdues, le musicien officie d’ailleurs en tant que projectionniste dans une petite salle perdue de bretagne profonde.
L’inestimable illustrateur Laurent Richard, son collègue du spectacle jeune public Les Chansons Tombées de La Lune (avec Arnaud Le Gouëfflec, Patrice Chapi Chapo et Delgado Jones), s’est occupé de main de maitre de la couv’ et de la conception graphique. Concernant les compositions, pas de surprise majeure, il s’agit bien là d’un disque de John Trap. Adepte de l’autosampling et des collages sauvages, le breton bricole des tubes pop efficaces de simplicité, comme seuls Mark Oliver Everett** et lui savent le faire. Basses linéaires, rythmiques métronomiques, enluminures électro, réminiscences kraut, mélodies imparables. 100% DIY, les racines rock 90’s ne sont jamais loin.
Et pourtant, cette fois, la langue française change tout. Le phrasé, entre spoken words véhément, complaintes désabusées et comptines fragiles. Les champs lexicaux. Le langage fleuri. Les refrains entêtants. La voix aigüe, chétive et légèrement chevrotante qui contrebalance avec le physique de bucheron du bonhomme. Après des années à se cacher derrière l’anglais, John Trap s’expose et se dévoile, sans pudeur et sans filtre. Cela permet à ceux qui n’ont pas eu l’occasion de le croiser d’entrevoir son humour acide et pince sans rire, mais également de découvrir son univers iconoclaste sous un nouveau jour.
"Cinéma ! Cinéma !" comme le hurlait Benoît dans ce film belge du début des années 90. Finalement, la filiation n’est pas si incongrue.
Aujourd’hui John Trap chante en français et c’est coule. Qu’on se le dise. Longue vie à Jean Piège.
*C’est en tout cas ce qu’il semblait assurer à nos collègues de "Rock Made In France"...
** qui vient de sortir l’impeccable "Eath To Dora", son 13° album (avec ou sans son groupe Eels).