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Il y a quelques mois, le film Better Man affublait Robbie Williams d’une tête de chimpanzé pour échapper aux clichés du biopic hollywoodien (ascension, chute, rédemption). Le concept primait donc sur le récit, si récit il y a encore à faire dans ce sous-genre qu’est devenu le film biographique. L’enjeu est similaire avec Pavements, mais en plus complexe que les frasques de l’ancien Take That, puisque Alex Ross Perry s’attache ici au plus grand groupe « sans histoire » de l’histoire du rock.

Oh, il y eut bien quelques tensions entre Pavement et leur label lors de la sortie de Wowee Zowee (double album vinyle dont la quatrième face était… vide), un passage boueux et hué au festival Lollapalooza, ou encore une paire de menottes accrochée au micro par Malkmus pour signifier son ras-le-bol à la fin des années 1990. Mais rien de véritablement tragique, rien qui justifie une mise en fiction. Chez Pavement, no sex, no drugs, aucun scandale marquant – seulement de grandes chansons et un peu d’herbe.

Alex Ross Perry choisit donc de raconter Pavement à la manière d’un questionnaire de Proust. Si le groupe inspirait une comédie musicale à Broadway, elle serait empreinte de kitsch et de pathos. S’il donnait lieu à un biopic façon Bohemian Rhapsody, on y exagérerait les tensions entre Malkmus et Chris Lombardi, le patron de Matador Records, et l’acteur principal (Joe Keery, très drôle) récolterait une nomination à l’Oscar pour sa performance tourmentée en Stephen Malkmus. Si un musée leur consacrait une exposition, on y trouverait les carnets de Stephen, les ongles de Gary Young, les fringues jamais lavées depuis Lollapalooza. Et un documentaire ? Il suivrait la seconde reformation du groupe pour quelques concerts en 2022, mêlant images d’archives, interventions de Kim Gordon et Greta Gerwig, et commentaires de journalistes saluant l’intégrité du groupe.

Pavement au pluriel, donc – tout comme il existait plusieurs Bob Dylan pour Todd Haynes et un Kurt Cobain imaginaire pour Gus Van Sant. Pavement embouti, déconstruit, éparpillé, mais avec un volontarisme qui suggère qu’Alex Ross Perry s’intéresse moins au groupe de Stockton qu’à la possibilité, un brin fumiste, de s’amuser avec l’adaptation cinématographique d’une vie de musiciens. Conséquence : Pavement n’existe là que sous forme de mirage ou de foutage de gueule, sans réelle existence propre, effacé par la distanciation et les concepts ballots du réalisateur – pas un hasard si les parties documentaires sont les plus vivantes du projet, car sans factice, dans une veine rappelant L’Obscénité et la fureur que Julien Temple avait consacré aux Sex Pistols en 2000.

D’autant qu’il s’agit pour Ross Perry de constater in fine l’inutilité d’une comédie musicale sur Pavement (trop tarte), d’un biopic (trop fake), ou d’un musée (il n’y a pas grand-chose à exposer). Pavements met en scène des échecs artistiques pour raconter un groupe qui s’en est toujours bien sorti. Idée étrange, qui accouche d’un ratage de cinéma.

Autre parti pris qui laisse perplexe, et censé, doit-on penser, refléter l’image slacker et branleuse de Stephen Malkmus : aucune chanson de Pavement n’est proposée dans son intégralité, rien que des bribes, des collisions (plusieurs titres se mélangent parfois entre eux). Mais ainsi en va-t-il désormais des œuvres concept : Pavements est un non-film qui entend frustrer les fans du groupe le plus cool du monde. Summer Babe, ailleurs.




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