Tandis qu’au bureau cet après-midi je faisais écouter à mon collègue d’origine italienne le nouvel album du trio Rien Virgule, ce dernier m’a fait remarquer que le morceau Enclos des Langues (comptine tintinnabulante et enfantine qui ferait des merveilles dans un film de Tim Burton) lui rappelait un tube de sa jeunesse, Annarella (prénom magnifique), que l’on retrouve sur l’album Epica Etica Etnica Pathos du groupe transalpin (formé à Berlin en 1992) CCCP - Fedeli alla linea : même si le touchant Annarella est un curieux mashup de chant des partisans (mais les partisans de l’amour, le texte niais rassemble les mots simplets dont on use quand se fendillent les cœurs), de reggae (la guitare en contrepoint), de Joy Division (réverbération caverneuse, linéarité jusqu’à la monotonie) et de lo-fi (la production sur le dernier tiers, ça bave), je crois comprendre le pourquoi d’une telle analogie. L’Italie, terre de grands sculpteurs, le sait, la beauté naît de la pierre la plus rude. Abrupt, exigeant, difficile d’accès, Berceuses Des Deux Mondes délivre ses charmes au compte-gouttes : il faudra en passer par Le Rythme du Sang, rugueuse et hybride plongée cinématographique (l’on se croirait dans un giallo illustré par des Pink Floyd esclaves de John Carpenter), claviers menaçants et criards, lente et longue mélopée à la lisière du drone, puis ce sera Rimane Solo, world music mutante portée par un simple kick et des synthés hésitants, avant que les nappes tourbillonnantes prennent le relais, d’ondées en reflux, flux de vagues dans le brouillard, la grève s’éloigne tandis que l’on nage en eaux troubles. Et puis, de long en loin, il y a le chant hanté d’Anne Careil, atout majeur qui, sur l’ombrageux Les Instrus du Cosmos, tutoie dans l’intensité et la démesure une Björk doom : dans la langue de Pirandello mais pas que, il glisse sur les arrangements de Mathias Pontevia (batterie) et Manuel Duval (synthétiseurs), telle une ombre dans les angles morts de nos esprits hypnotisés. Les intermèdes, Petits Os Déshérités (field recording de studio recording ?) et L’esprit Bruyant, permettent à Ostinato Des Parades (un pied, synthé vrillé, sonorités noise indu en total contraste avec la mélodie vocale, aussi entraînante que celles du folklore de l’ancien monde) et à la jolie mélopée ternaire (tango ?) de Chute Imaginaire d’un Astre de briller plus encore : il en va ainsi de la parfaite maîtrise des contrastes, que le quatrième album de Rien Virgule illustre à la perfection. Le groupe se produit le 29 mars prochain au Petit Bain, berceuse et / ou poing dans la tronche, à vérifier sur place.