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Lot de fusions surprises – mais pas que, non plus – sur le huitième album studio « Stur an Avel » (« Le Gouvernail du vent ») de Denez (alias Denez Prigent) où l’on retrouve le beatmaker et arrangeur, James Digger (machines, claviers, scratch) ainsi que Yan Tiersen co-crédité sur « kantreadenn » et « Gant ar red » (piano, accordéon, ondes Martenot), Fred Guichen (accordéon diatonique), Jean-Charles Guichen (guitare acoustique), Ronan Le Bars (Uilleann pipe, whistle) et un tout plein de musicien.ne.s d’univers variés et féconds. Entre sons d’inspiration ethnique, traditionnelle et électro folk, voyons donc ce que cette arche de Noé celtique referme en fond de cale et surtout comment elle tient l’eau par vents contraires et fortes marées.

On commence par une belle ambiance mélancolique sur « En avel a-benn » avec en invités les bagadoù de Kevrenn Alre. La voix de Denez de plus en plus chantresque passe comme un vent d’ouest par jour de crachin, cette petit pluie fine et pénétrante qui se distille en vous telles de petites notes de musique obsédantes. Hormis les influences propres à la musique traditionnelle bretonne, on pense aux minimalistes Steve Reich ou Philip Glass pour ce qui est des mesures qui tournent en boucle avec quelques sons trip hop et dubstep venant rajouter un peu d’épices à l’instrumentation acoustique. La composition musicale reste cependant au service de la voix qu’on imaginerait facilement a cappella comme c’est souvent le cas chez notre virtuose de la gwerz. Les oreilles dans cette musique ouverte aux intempéries et les yeux dans de beaux textes transcendantaux –aidés souvent par les traductions en français– on se rend rapidement compte qu’on n’est pas trop là pour rigoler, et malgré notre résilience tel le lichen à s’accrocher à la roche par fortes marées, nous voici balayés par la noirceur des paysages chers à l’Ankou s’invitant sur « C’hwervoni » : « Tu n’as pas peur ? »/ Et moi désenchanté, de répondre/ « Sauf votre respect, je n’ai pas peur en vérité/ Car je pensais que vous étiez déjà passé ».

Parlons maintenant de la fausse bonne idée du disque, j’ai nommé la refonte du morceau « Waltz of Life » qui aurait presque mérité un sabordage en règle si j’avais été au poste d’arrangeur-naufrageur. Tout d’abord, comprenez mon désarroi breton (et désarroi tout court) : la version originale que j’avais découverte sur l’album « Mil Hent » (2018) m’avait profondément ému et évoquait pour moi comme une dernière danse quand le Titanic est en train de sombrer, une allégorie à la fois sombre et belle de la vie et l’amour contre Thanatos, mais aussi à un autre degré, la langue bretonne millénariste au bord du précipice qui malgré les maints efforts de réanimations régionaux depuis ces dernières années continue de piquer du nez au regard du nombre de locuteurs. À un niveau de tragédie moindre, certes, la production musicale de cette nouvelle version me fait tristement l’effet d’une soupe gwertz-new age-slam peu ragoutante avec deux artistes embarqués dans cette galère : la chanteuse bretonne anglophile Aziliz Manrow (genre on se la refait collaboration en anglois comme avec Liza Gerrard pour le tube « Gortoz a Ran » popularisé par le « Black Hawk Down » (2002) de Riddley Scott) et le très respecté rappeur poète franco-malien, Oxmo Puccino, connu notamment pour son disque d’or « Opéra Puccino » et ses moultes collaborations. Malgré une première moitié assez prometteuse avec un son symphonique boosté électro venu soutenir la voix magistrale de Denez Prigent, l’impression au final est un drôle de patchwork fait de motifs mal ficelés que je vous laisse découvrir ici par vous-mêmes si vous voulez comprendre de quoi je cause :

Entre coups de gîte, errances d’âmes en peine (« Kantreadden », « Gant Ar Red »), ballade nihiliste (« Pennoù Kelc’hiet ») ou traversées en enfer (« Gwerz Montsegur » relate notamment un sinistre épisode de la terreur inquisitoriale contre les Cathares), il y a toutefois quelques éclaircies pour apporter un peu d’accalmie, comme sur la musique électro folk dansante de « An-hentoù-tro » ou sur la suite d’an dro de « Ar grampouezhenn-nij » évoquant les rondes « Ar rodoù avel » ou « An tad-moualc’h kaner » de l’album précédent. Il y aussi des contes fantastiques tels que « An arc’hig balan  » (« Le petit coffre d’ajonc ») et « Ar rouanez Ganibal » (« La reine cannibale ») qui sauront vous perdre hors des sentiers narratifs convenus. Un disque qui veut conquérir fièrement le cœur d’un public varié, autant profane qu’initié à une musique bretonne contemporaine sans peur et sans œillères, même si quelques dérapages de type « qui trop embrasse mal étreint » ou des redites mélodiques par trop pleurnichardes («  Kantreadrenn », « Lestr Dienez » …) pourront à l’occasion donner envie de lâcher un « Gast ! » d’irritation. Heureusement, quand bien même sombre, le ciel n’est jamais trop loin alors que les très beaux dessins de Denez pour illustrer l’album nous rappellent combien la culture bretonne de portée universelle est faite autant pour la terre, que la mer ou les étoiles.




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