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Mon sac à dos était lourd aujourd’hui. Le périple était de 20 km avec un dénivelé de 700 mètres, il fallait des victuailles pour tenir le coup et parer aux impondérables du temps. Pendant la marche, ma tête trouve un repos étonnant, le calme comme dicté par le rythme de mes pas. Au bout de la route, la fatigue est ce que l’on appelle de la bonne fatigue, une forme d’ivresse me prenant, anesthésiant les douleurs d’une marche avant tout pour le bonheur de fusionner avec la nature et les éléments, celui de ressentir le vent, d’avoir de la modestie face aux arbres, de n’être que de passage face à un paysage façonné au fil des siècles.

Pendant le trajet, des pauses s’imposèrent, et les chansons du nouvel album de Facteurs chevaux, « Chante-Nuit » semblèrent les plus propices à la fusion entre l’instant et une culture qui est le deuxième pilier à nous maintenir debout. Façonné en grande partie dans la demeure de Joseph Ferdinand Cheval, ce nouvel album est un compagnon des routes vertes, l’œuvre comparable à celles des troubadors du Moyen Age. Car le duo composé de Fabien Guidollet et de Sammy Decoster a depuis « La Maison Sous les Eaux » quitté définitivement le fil du temps et laissé le monde contemporain dans sa vaine fuite en avant pour se recentrer sur notre mère la terre. « Chante-Nuit » est un disque de voyage tout autant extérieur qu’intérieur, les voix entamant une danse sur des mélodies qui semblent suivre le vol, là d’une libellule, là d’un rapace ou d’un oiseau artiste peintre dans un ciel pas totalement immaculé de bleu. Il y a une comme un périple initiatique faisant raisonner tout autant le mouvement de cette nourricière que nous dévoyons que les pierres que nous regroupons pour y faire raisonner les chants de nos croyances. Mais pas de prosélytisme ici, juste le plaisir de jouer des échos, de créer des vibrations là où elles sont les plus belles. J’imagine alors le long de mon périple entendre un jour ces chansons au théâtre du Peuple de Bussang, un vœu comme une évidence, la nature, le partage, la transmission, le cours de la vraie vie comme l’élément possiblement perturbateur et donc générateur de création, le lieu comme la maison de Joseph Ferdinand, poétique et créateur de désir. La beauté précieuse de deux troubadours, la force du pas sur la terre.