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C’est étrange comme parfois on perçoit les autres, ces autres familiers, ces proches si différemment parfois.

C’est étrange comme un visage change en l’espace d’un instant. Vous savez...Ces détails imperceptibles qui modifient les perspectives.

Cela vous est déjà arrivé de pouvoir observer à son insu la personne qui vous est le plus proche.

Cela vous est déjà arrivé de pouvoir la voir dans sa plus complète intimité. Telle qu’elle est, authentique, rien de plus, sans vous.

Dans ces moments-là, c’est à peine si l’on parvient à reconnaître cette silhouette, ce corps maintes et maintes fois touché et caressé. Dans ces instants-là, on se sent en intrus, en voleur, en usurpateur...

C’est précisément cela que provoque en moi l’écoute de "Lighthouse", le premier EP de la jeune suédoise Jenny Lysander.

"Lighthouse" n’a rien de très différent des autres productions de Folk dépouillé. Ni geignard, ni plaintif, ni trop sec, ni trop minimal.

"Lighthouse" n’a rien de très différent mais bien des choses en plus.

Première signature du tout frais label "Beating Drum" du cosmopolite Piers Faccini, d’ailleurs à la production et aux arrangements.

Aprés quelques rumeurs perçues ça et là sur le Net, égrenées depuis un peu plus d’un an, on comprend bien vite l’intérêt et cet élément commun entre la demoiselle et son aîné de producteur.

Cette même attirance, ce même amour pour une Folk qui se joue des frontières et préfère se confronter aux métissages.

Assumant une hésitation volontaire entre un Folk anglais des Seventies que ne renieraient pas Bert Jansch ou Nick Drake et d’exquises enluminures orientalistes...

Passons en l’espace d’un murmure d’un cottage du Yorkshire à une Inde de pacotilles comme se plaisait à le reconstituer Pierre Loti dans son palais des artifices dans sa bonne ville de Rochefort.

Tour à tour rêche puis délicate jusqu’à la sophistication soyeuse, Jenny Lysander cumule les talents par l’immensité subtile de son interprétation, de son chant à la fois diaphane et puissant.

Osant l’atonie tendre d’une Karen Peris (The Innocence Mission) jusqu’au lyrisme éclatant d’une Sandy Denny ou d’une Elizabeth Frazer. Proche des productions divines de TIny Ruins ou de Grand Salvo , Jenny Lysander nous subjugue. Quand on sait plus qu’il existe encore plusieurs titres tout aussi beaux que ces quatre-là, on sait que l’on tient là une amie au long cours

Osant la rupture et une musicalité à l’os qui assume ses défauts, ces quatre estampes sentent le bois humide des Cevennes (dans lesquelles elles ont été enregistrées).

Quand vous ouvrez ce cd et sa pochette cartonnée, vous trouvez quelques mots d’une écriture bleue sur un fond blanc :

"Pour lui, les mots, c’est ce qui donne du sens au monde.... Pour moi, ce ne sont que des perles de sang..."

Avez-vous déjà marché à la nuit tombante ? Vous savez quand votre marche, vos pas se font incertains.

Quand chaque pas devient un effort, une précaution de chaque mesure. Quand l’élan de la marche se met à craindre la chute, quand l’aveuglement vient vous troubler.

Quand votre imagination fantasme des précipices, des obstacles, des puits sans fond.

Quand le moindre caillou devient danger, quand la moindre sensation prend des saveurs claustrophobes.

Quand vos sens s’aiguisent... Vous sentez tout mieux, vous entendez tout mieux...

Comme ce déficit de soi que l’on vient pallier avec presque rien, avec un peu plus...

Marcher dans l’obscurité, c’est modifier l’angle de ses perceptions.

Marcher dans l’obscurité, c’est gonfler la voile de son imaginaire, quelque part tourné vers un inconfort exquis.

Pourtant, toujours dans ces moments-là, arrive cet instant où l’insécurité l’emporte sur l’euphorie. Comme durant ces longues randonnées au fin fond des forêts où sans se l’expliquer, sans se le dire, sans se l’avouer, l’on finit par chercher, espérer une lueur comme un plongeur qui cherche un nouveau souffle.

Il y a toujours ces instants dans ces dérives nocturnes où bien avant qu’on ne l’atteigne, on ne la devine plus qu’on ne la perçoive, cette lueur diffuse qui ira grandissante. Nous nous plairons à l’imaginer phare, guide solaire comme une maison de lumière quand finalement elle ne s’avérera être qu’un banal lampadaire, commun parmi les communs, comme l’annonce timide de la ville proche. Pourtant, cette simple lueur, pour quelques moments, résumera notre monde, deviendra un abri, comme un cercle magique protecteur contre les craintes qui nous assaillent et nous envahissent.

Finalement, peu de choses importent... Nous n’en ferons pas ici l’inventaire . Où se situe le futile ? L’inutile ? Certainement ailleurs qu’entre les murs de ce "Lighthouse" de Jenny Lysander qui nous fait contenu et contenant....

https://soundcloud.com/jennylysander




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