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Arman Méliès a décidé d’intituler son quatrième album IV. Sobrement ? Pas vraiment, en fait, puisque Led Zeppelin, Toto ou Foreigner l’ont fait avant lui. Pour ces artistes, le chiffre quatre a souvent été auréolé de succès sans précédent et depuis il est synonyme de tubes légendaires, de slow langoureux, de morceaux titanesques et, plus généralement, d’une certaines idée du son FM. Aussi est-ce peut-être parce qu’il est conscient de l’ironie qu’Arman Méliès a choisi de faire précéder le chiffre romain de ses initiales AM, témoignant de sa préférence pour les grandes ondes plutôt que pour la modulation de fréquence. Il est pourtant assez peu probable que les voies ici empruntées soient celles garantissant des passages en boucle sur les radios libres. En effet, si AM IV utilise amplement les sons de synthétiseurs analogiques que l’on associe souvent aux années 80, on sent qu’Arman Méliès n’a pas voulu se situer dans le prolongement des groupes actuels qui cherchent à singer le son d’artistes aujourd’hui réhabilités comme Jacno ou Daniel Darc. Au contraire, sa démarche sur ce disque me semble plus proche de celle d’artistes un brin plus discrets qui, comme Alain Chamfort ou Jean-Louis Murat – celui de Cheyenne Autumn et du Manteau de Pluie, bien sûr –, trouvèrent en cet artefact synthétique un moyen de renouveler le vocabulaire un peu trop corseté de la chanson française, mais aussi une façon alternative de faire du rock en français sans sombrer dans la parodie de groupes anglais ou américains. Car rock, Arman Méliès l’est, sans aucun doute. En témoignent ses bras tatoués, son regard perçant et sa manie de jouer de la guitare électrique avec des effets de saturation tels que la Fuzz War de Death By Audio – les dingues de sons et les fans d’A Place to Bury Strangers comprendront. Pourtant, il sait qu’aller totalement dans ce sens là serait une impasse, que son écriture est trop subtile et sa voix trop frêle pour se contenter de les noyer sous des flots de sons distordus et qu’une approche plus contrainte est le meilleur moyen de mettre en valeur la fragilité de ses mélodies.

Dès le morceau d’ouverture, « L’art Perdu du Secret » – référence vicieuse à Queens of the Stone Age, et encore une façon de brouiller les pistes ? – , le décalage existant entre la douceur de la voix, la droiture d’une guitare acoustique jouant en arpèges et des plages de claviers planants, bientôt rejoints par une boîte à rythme glaçante, fait mouche. Les mélodies sont belles, elles servent de contrepoint à la froideur de l’ensemble. Ce premier morceau intrigue, il faut écouter la suite. « Mon plus bel incendie », premier single, dont la mélodie intemporelle semble empruntée à un classique de la chanson française, reste habité d’une étrangeté que souligne l’esthétique froide de l’arrangement. Le refrain, libérateur, sonne délibérément « variété », mais dans le bon sens du terme. À l’heure où la musique ‘indie’ est devenue tellement cliché qu’elle n’est guère plus qu’une sorte de ‘branding’ pour des entreprises commerciales, qu’y a t-il de plus incongru, de plus subversif, même qu’une chanson simple aux paroles presque naïves ? Arman Méliès épouse ce sentiment romantique, se situant sur le fil de la mièvrerie sans jamais y céder, sur deux autres titres, « Rose Poussière » et « Arlésienne », parmi les plus réussis. C’est pourtant la quatrième plage de ce quatrième disque qui risque de faire le plus parler. « Sylvaplana », long de plus de dix minutes, sonne comme un « Shine On Your Crazy Diamond » délesté de toute prétention. C’est en effet là que le parti-synthétique prend tout son sens, que la simplicité des arrangements vient servir de contrepoids à l’ambition du propos. Le final enlevé passe ainsi comme une lettre à la poste, alors même qu’un arrangement électrique aurait boursouflé la chanson, lui aurait donné une lourdeur à la Arcade Fire que même le dernier Dominique A n’a pas été complètement capable d’éluder. Une autre bonne idée du disque est son dernier morceau, « Mes Chers Amis ». Cet instrumental inspiré servait au départ de toile de fond à la reprise d’un discours de Nicolas Sarkozy que son auteur avait voulu rassembleur mais qui, une fois posé sur cet univers froid et inquiétant, révélait ses atours mensongers et cyniques. Bel exercice, certes, mais l’idée de zapper le discours et de ne garder que l’accompagnement musical permet de fermer le disque sur une note méditative un peu plus subtile – et ne pas verser des droits SDRM à Guaino, Guéant ou consort n’est pas plus mal, finalement.

Arman Méliès a participé à la composition de « Vénus », l’un des – rares – bons morceaux du dernier disque d’Alain Bashung. Aussi est-il tentant d’établir une comparaison avec ce dernier. On pense donc forcément à Novice, l’album à dominante électronique qui marqua la fin de la collaboration avec Boris Bergman et le début d’une nouvelle ère libératrice pour l’artiste qui le mènerait vers les sommets de sa carrière. Une trajectoire similaire est la seule chose qu’on a donc envie de souhaiter à l’auteur de ce très enthousiasmant AM IV.