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Pilier de l’éclectique label brestois L’Église de la Petit Folie – qui fête par ailleurs ses vingt ans d’existence avec la sortie d’une compilation hautement recommandable, sur laquelle on retrouve Arnaud Le Gouëfflec, Ooti, John Trap, Delgado Jones et autres Papapla –, dont il est par ailleurs le graphiste attitré, Gildas Secretin alias Garden With Lips, depuis son confortable home studio niché au pied de Montmartre, élabore avec un soin infini des chansons mélancoliques, entre folk et new wave, malaxant pop ligne claire et sonorités aventureuses – post-rock, electronica, toy music : toujours, les disques de Gildas – qu’il s’agisse d’albums au long court ou de formats plus courts, nourris de field recording et de vacances en Corse – étonnent, intriguent et fourmillent de détails qui se dévoilent écoute après écoute ; jamais l’on ne se lasse, tant les sens s’agencent (tous risques) avec le temps.

En une dizaine d’années, Garden With Lips s’est construit une riche discographie, dont les climats évoluent à l’inverse de son épanouissement en tant que musicien. La belle maturité de Gildas transparaît à travers des compositions de plus en plus sombres et un chant en français – enregistré du bout des lèvres mais avec une chaleur vénéneuse qui vous saisit, on croirait que les textes, crus et néanmoins sensuels, se déversent directement au creux de l’oreille – dont les fêlures assumées sont la patine d’un parti pris affirmé. A ce titre, « Magnolia » est sans nul doute son album le plus nocturne, malgré de belles éclaircies et des respirations sans artificialités : si l’on retrouve certains marqueurs de l’œuvre de Gildas (les motifs de guitare acoustique joués du bout des doigts, les claviers pointillistes, les envolées atmosphériques), l’ensemble est plus direct, plus brut, plus rock – en témoignent les batteries mates et les tensions rythmiques – que sur ses disques précédents, même si, déjà, « Pelissandre », sorti en 2019, amorçait la descente en territoire brumeux.

La discrétion relative et généreuse de Garden With Lips (en guise d’apéritif, nous disposons d’un « Avant Magnolia », fait de démos et de broc) est sans rapport avec des compositions artistiquement ambitieuses qui, dans un monde éveillé à la beauté, devraient séduire les plus endurcis d’entre nous. Ce cinquième album aux nombreux sommets (« Animal » saura rendre la politesse à Benjamin Biolay) accueille avec bonheur le chant de Marie Pierre, dont la voix si particulière (mûre et enfantine, elle sort directement de son âme) harmonise à merveille – en une exaltante saudade moderne – avec celle de Gildas, en des fins de morceaux souvent magnifiques, que l’on voudrait ne jamais voir s’arrêter. Évidemment, la lumière est toujours allumée – « Les Flots » nous rappelle que l’apaisement n’est jamais loin – mais dès « Auroral », inaugural instrumental qui convoque un The Cure sans électricité, le ton est donné : toujours, quelque chose poisse le bonheur. Sur ce postulat tendrement défaitiste, Garden With Lips refuse de couler et nous offre suffisamment de mini tubes (« La Démesure du Temps », « Au Bout de la Nuit » et « Le Sud ») pour traverser sans heurts n’importe quelle ère glaciaire. En cet hiver passionné et incertain, le Jardinier aux Lèvres d’or sera votre hôte et son « Magnolia » inspiré s’avère être le genre d’album-arbre sous lequel on s’abrite quand gronde le monde et, si la foudre venait à tomber, nulle crainte, elle ne ferait que recharger nos cœurs.