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Mais pourquoi donc un nouvel album de Depeche Mode attise-t-il toujours autant les attentes ? Que nous aimions follement ou pas (le juste milieu n’existe plus dans le cas des mecs de Basildon), rien à faire : la sortie d’un énième DM se commente, se décortique jusqu’à l’usure et, pourquoi pas ?, jusqu’à la profession de foi.

Il existe pourtant un moment où, entre le fan acharné de DM et l’apôtre Martin Gore (car quoi qu’en pense Dave Gahan, DM ne tient qu’aux compositions de Gore), ça merde. Lien rompu. Difficulté à s’enthousiasmer comme au bon vieux temps des classiques « Black Celebration » ou « Violator ».

Hypothèse : début 90, Depeche Mode est mort. Lessivé par la tournée « Devotional Tour » (apothéose de coke, d’héroïne, de crises cardiaques, de tensions et de grosses dépressions qui inciteront Wilder à quitter ce navire en ruine), le groupe, au-delà du succès, flirte avec la déchéance junkie. Fatale conséquence : Gahan, entre deux redrum, se fraye une survie à coups de rasoir pendant que Gore déprime en cachette. Or, cet aspect camé, bad boys pour tout dire, permettra au groupe de renaître crédible, en phase avec l’époque, voire surpassant les tendances techno du moment (fin de décennie 90’s marquée par les Chemical Brothers, le « Fat of the Land » de Prodigy, le label Melancolik…).

97 : Depeche Mode, de retour parmi les vivants, sort l’album « Ultra ». Disque inespéré, inattendu. Un album sale, à la ramasse, donc ne ressemblant à aucune des nouveautés électroniques d’antan. Cet aspect « hors du coup » permet à DM de soudainement devenir précurseur, référence inattaquable, gage de crédibilité (bizarrement pour un disque pouvant sans peine caracoler au rang des albums les plus glauques de tous les temps). Après de nombreuses années à se faire violement injurier, le groupe de Gore / Gahan se transforme en une référence cent fois plus importante que Joy Division ou Kraftwerk. Depeche Mode devient une institution. Une institution portée sur la dépression et l’auto-apitoiement : Dave Gahan, ex junkie carburant dorénavant au quart Vittel, chante dans « Ultra » sa déchéance en même temps que son espoir de renaissance. Troublant…

Et ensuite ? En pleine forme physique et morale, Martin Gore balance en 2001 le très atmosphérique « Exciter », un assez grand disque dont les courbes sinusoïdales dévoilent une complexité qui, un jour ou l’autre, transformeront ce disque un brin mésestimé en parangon. Dave, lui, se met à l’écriture et réclame dorénavant sa part de compositions par album. On craint alors une fissure, un possible motif à discorde entre Gore et Gahan. Mais non, rien ne semble pouvoir enrayer le mastodonte Depeche Mode : auteur des sublimes « Suffer Well » et surtout « Nothing’s Impossible » sur « Playing the Angel », Dave Gahan se révèle fort convaincant songwriter (ce qui ne semble guère perturber Martin Gore outre-mesure). Bref, en 2005, tout roule pour DM : non seulement la côte de popularité du groupe ne connaît aucune anicroche (concerts sold-out, dithyrambes critiques) mais Martin Gore, avec « Playing the Angel », vient également de prouver qu’il détient toujours la recette miracle afin d’écrire des hits instantanés (l’accrocheur « Precious » ou le délicat « Lilian »). Et c’est précisément à ce moment-là qu’entre le fan acharné et les p’tits gars de Basildon, ça merde.

Très satisfait par sa collaboration avec Ben Hillier sur l’organique et vintage « Playing the Angel », DM décide de remettre le couvert avec le célèbre producteur de Blur et Elbow. Pour cela, comme un enfant s’offrant plein de nouveaux jouets, Martin Gore casse la tirelire et s’entoure de synthés et consoles désuets. Problème : pour la toute première fois, l’inspiration est absente. Sounds of the Universe : du gros son mais pas de chanson. Sur cet album exécuté trop vite, les mélodies ne décollent jamais (un comble), le travail de production prend le dessus sur la qualité des titres et le groupe lui-même y dévoile un premier signe de lassitude. De fatigue ? A la première écoute, « Delta Machine », treizième album studio de DM, provoque cette même sensation de bolide tournant à vide. Comme du « Violator » en moins compact, un « Music for the Masses » sans tube authentifié, le disque fout la claque niveau sonore mais l’oreille du fan n’accroche sur aucun titre en particulier. Mais on sait aussi que parfois, un disque de Depeche Mode ne s’offre guère sur un plateau d’argent. Parfois, il faut insister jusqu’au fight afin de percer l’opacité de cette musique de plus en plus tribale, de moins en moins prenable (la persévérance se révèle souvent payante – « Ultra » - mais parfois non – « Sounds of the Universe »). Partant de ce principe (Depeche Mode, groupe à la musique querelleuse), l’impression mitigée face à la découverte « Delta Machine » ne résiste pas aux écoutes suivantes.

Plus épuré et atmosphérique que le trop-plein de « Sounds of the Universe », « Delta Machine » voit Martin Gore concilier ce qu’il avait foiré sur le précédent DM : un travail impressionnant sur les courbes sonores mais, au premier plan, des chansons qui pourraient aisément séduire en acoustique sur les quais du métro. Les bons titres ne mettent pas trois écoutes pour révéler leurs puissances éthérées (mention spéciale à « Broken » et « Alone », non pas des tubes mais, bien plus encore, des modèles d’écriture sophistiquée) et l’auditeur se surprend à penser que DM n’avait pas été aussi insidieux depuis « Ultra ».

Le fan de Depeche Mode aime à penser (sans doute à raison) que la virginité des mélodies concoctées par Martin Gore tient essentiellement à la nature mélancolique (limite dépressive) de ce dernier. Sauf que dorénavant, Gore semble moins se passionner pour les méandres catholico-mystiques de ses troublantes pensées qu’à l’aspect élégiaque de sa musique. Sur « Delta Machine », étrangement, propos et paroles se décryptent difficilement (mais il faudra y revenir) là où chaque sonorité et nappe synthétique semblent provenir d’une église. DM se rapproche de plus en plus d’une musique équivalente à un confessionnal, de la même façon que certains disques de Leonard Cohen ou de House of Love chauffaient les cœurs par leurs impudeurs poétiques, par leurs façons de camoufler le déballage intime derrière un vocabulaire religieux. Martin Gore vient peut-être ici de franchir un palier supplémentaire : inutile d’écouter les paroles pour comprendre la sainte plénitude de « Delta Machine » (façon culpabilité du pécheur enfin absoute), la musique ainsi que la voix toujours aussi plaintive de Gahan se suffisent dorénavant à elles seules. Oui, affirmons-le : il y a bien longtemps qu’un album de Depeche Mode n’avait pas dégagé un tel parfum de sérénité. Cela en fait-il pour autant un grand disque ? Assurément pas. Mais le fan acharné de DM, quoi qu’il arrive, sera toujours exagérément indulgent envers les sages voyous de Basildon…




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