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J’aime ce moment où on ne connaît pas encore par cœur les enchainements des titres, chaque recoin de son, chaque arrangement, chaque détail, où l’on est en découverte. Une sorte d’écoute innocente qui surprend de plaisir. Plaisir encore plus grand avec ce nouvel album de Laetitia Shériff.

Il nous a fallu patienter pour découvrir du nouveau son made in Laetitia : pas moins de 6 ans depuis le précédent album Pandemonium, Solace and Stars, 5 si l’on compte le EP The Anticipation qui a suivi fin 2015. Connaissant notre goût affirmé pour sa musique depuis… ses débuts, avant même Codification, avouons-le, à l’abord de ce nouveau disque, nous étions un brin fébrile. Non pas qu’on n’ait pas confiance. Chaque album est l’occasion de tester la magie que dégage ses compositions et sa voix. C’est qu’on s’y sent toujours bien, dans ses chansons. Elles sont accueillantes, nerveuses, rêveuses, elles ne se la racontent pas, ne jouent pas avec nos nerfs. Elles nous rassurent, nous réconfortent. Même dans leurs questionnements.

La confirmation du pouvoir magique arrive avec People Rise Up qui nous cueille directement, appel salutaire à se lever et résister, se révolter contre l’injustice, porté par un arrangement de cordes qui nous porte vers le haut, pour ne plus nous laisser retomber. L’univers nous est familier, mais il y a ce petit quelque chose qui fait de ce titre un joyau. Et augure un album de haute tenue. Sa tonalité globale est plutôt inquiète et nous incite à se serrer les coudes, à s’aimer (oui, parfaitement) pour avancer dans un monde toujours plus difficile à appréhender.

Au milieu de ces tourments, on note un changement de tonalité avec Deal with this : a-t-on souvenir d’une vraie chanson "feel good" par Laetitia ? Le défi est en tout cas relevé de belle manière : se dire que même si la journée est mal partie, chanter le contraire ne peut-être que salutaire, avec force chœurs et mélodies remplies de joie. C’est certain, ça fait du bien. Pamper yourself nous fait retrouver le dépouillement guitare / voix qui soigne les blessures intérieures, les manques affectifs.

Est-ce l’incursion de Laetitia Shériff aux États-Unis (elle a parcouru les USA pour notamment découvrir des lieux de culture musicale – mais pas que - dans le cadre d’une série d’émissions sur Euronews) qui lui a donné le goût des grands espaces ? On se prend à rêver, à devenir un rapace planant au-dessus de la côte ouest, en provenance de San Francisco pour retrouver les fantômes de Brautigan ou Kerouac à Big Sur (Go to Big Sur). D’une entrée tout en douceur, Outside enfonce finalement le clou avec une composition entêtante et en progression constante, avec différentes parties dont un contre-chant basse / guitare saturées du meilleur effet. Frisson garanti.

Stillness est fidèle aux racines de Laetitia, puisant autant dans un indie-rock nerveux, tendu et saturé (Stupid March, Sign of Shirking) que dans des ambiances plus nuancées, mais ses compositions sont sublimées par les splendides arrangements de cordes, claviers, et de cuivres. On retrouve la même équipe que sur les dernières productions, l’incontournable Thomas Poli aux guitares, claviers et à la production artistique, et Nicolas Courret (Eiffel, Invaders) à la batterie, sans oublier Clément Lemennicier (Bumpkin Island) aux cuivres sur 3 titres. Les 10 titres de l’album enchantent l’air de nos intérieurs, à défaut de remplir de sons un lieu de concert pour l’instant (gros soupir…).

Stillness peut résonner de mille significations. Calme avant la tempête ? C’est en tout cas un album de combat, en phase avec son époque troublée, à la fois inquiet pour l’avenir et ouvert sur le monde, incitant à se retrouver autant que possible, dans le son saturé de bonnes ondes. J’y retourne.