> Critiques > Labellisés



L’été dernier, j’évoquais en ces pages le multi-instrumentiste Thibaut Guillon aka Brume Parole qui, avec classe et décontraction, musicalisait les sculptures de Félix Charpentier, émérite plasticien dont les œuvres tranquilles ornent la gare de Lyon à Paris et la façade du Grand Palais. Thibaut is back on da map et revient vers ce sagouin / chafouin de Marcel Proust (l’œuvre, grandiose et néanmoins décousue, est paradoxalement à la hauteur de la pénible pusillanimité de son auteur) : après Recherche Proust, publié en automne 2022, voici Retrouve Proust, 101ème bougie d’anniversaire post-mortem d’un écrivain amateur de cyclistes italiens et de liège, à la postérité indéniable mais que (trop) peu lisent, en raison d’a priori certes compréhensibles (entre autres, la densité lexicale, syntaxique et symbolique : Albertine est-elle vraiment morte ?) mais difficiles à surmonter, d’autant plus en cette époque de raréfaction stylistique et d’appauvrissement du vocabulaire. Bienveillant ami égalitariste partisan du tout-se-vaut (Jul = Mozart), je précise que j’apprécie Bukowski ET Goethe. Et donc, point d’élitisme, on peut sans honte en 2023 aimer Proust, notre névrosé préféré sachant avec une adresse inouïe dresser des portraits ciselés dans lesquels tout un chacun peut se retrouver : j’admets pour ma part avoir un petit côté Madame Verdurin, sans la sociabilité fallacieuse, puisque je fuis le genre humain (qui me fuit tout autant) (mais je ne fuis pas la musique que le genre humain produit). Cette approche de l’œuvre de Proust, dénuée de snobisme, est celle de Brume Parole, qui de sa voix blanche taille dans le texte pour en nourrir dix compositions électroniques, ambient, house et anguleuses, aux couplets échevelés (Lire en soi-même) ou aux refrains en forme de mantras (Hors de nous). Entendre de vive voix le fameux « Longtemps, je me suis couché de bonne heure », ça fait bizarre, tant la parole du narrateur sans nom fut prégnante seulement en esprit, ça fait bizarre et ça fait plaisir, c’est comme écouter une parole endormie, aujourd’hui ressuscitée ; le tendu Dans la glace oblique, featuring Fred Nevché, est un régal de noirceur désabusée. Catchy, mélodique, mélancolique, Retrouve Proust porte bien son nom, à tel point que l’on s’attend vraiment à croiser au détour d’une prairie provinciale ou d’un night-club berlinois cette Albertine si maladroitement aimée et si étrangement disparue : Brume Parole, en singulier messager partageur, se fait le porte-parole d’une voix éteinte toujours vivace, qui ne demande qu’à perdurer, tant les thématiques évoquées – la différence honteuse, l’amour à sens unique, l’enfermement social – restent (malheureusement) actuelles.