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Enfermé chez moi à cause de ce fameux virus qui jadis fit tant parler de lui et, à l’instar d’un Nicolas Cage ruiné, ne s’ébroue plus sous les feux de la rampe (même si les trois navets annuels de Nicolas Cage me sont savoureux), je désespère tant de la mollesse de mes valeureux neurones que me voilà lancé dans une partie de NieR Replicant ver.1.22474487139…, soit la suite remastérisée - parue en 2021 - du jeu NieR, lui-même édité en 2010 par le studio Square Enix (rien de moins que les mythiques Final Fantasy et Kingdom Hearts).

Sous la houlette du réalisateur Yoko Taro, qui s’était fait connaître avec la série Drakengard – dont Nier est le spin-off de la cinquième fin du premier épisode (faut suivre) –, mais également par ses frasques (les interviews durant lesquels il apparaît masqué) et son franc-parler (« Je n’écris jamais sans avoir une bière à portée de main. Je pense que les scénarios de mes NieR seraient très différents autrement »), NieR Replicant – bien que, malgré son lifting numérique, daté – reflète la patte et les obsessions de son auteur : un univers fantasy apocalyptique aux graphismes paradoxalement mignons, des personnages attachants mais énigmatiques (on ne sait rien d’eux), un design unique, une pointe d’absurde (les interventions du Grimoire Weiss), un gros travail sur les angles de caméra, un gameplay varié (action-RPG, hack’n slash, phases de plate-forme, puzzles) et surtout, surtout surtout surtout, une bande originale dont la richesse et l’originalité vous sautent aux oreilles dès les premières minutes, d’autant plus que, constituées de boucles, les musiques peuvent s’étirer à l’infini, sans que les coupures soient perceptibles, ou s’adapter à l’action et diminuer / augmenter en intensité si le contexte s’y prête - le procédé est très impressionnant.

Bon, oui, au bout d’une heure passée à errer dans certains niveaux, au son des mêmes motifs, vous devenez dingue, mais Nier Replicant est calibré de telle manière que si vous stationnez longtemps sur une map, c’est que vous n’êtes pas doué, hein.

L’année dernière (ou celle d’avant) (quand on a une vie de merde, toutes les années se ressemblent), en parcourant l’univers futuriste de NieR Automata – suite du premier NieR, publiée en 2017, dont l’histoire se déroule des milliers d’années plus tard, et donc un peu dans l’espace –, je m’étais fait la réflexion que le travail de Keiichi Okabe et ses collaborateurs était vraiment admirable, au point de maintenir éveillée mon attention lorsque celle-ci s’émoussait lors de phases de gameplay molles ou de promenades dans des territoires vides, sachant qu’au programme des défauts de la série NieR figure le nombre invraisemblable d’allers-retours que le personnage doit effectuer, pour accomplir des missions parfaitement anecdotiques.

Le territoire vide, tu le traverses en long et en large plusieurs fois, autant dire qu’une bonne chanson permet de tuer le temps en sifflotant. (Et puis on est dans le futur, il y a des robots partout, jusque sur la lune, et on n’a même pas de téléphone pour dire « Hey, Kevin, c’est bon, j’ai buté le hérisson qui bloquait l’entrée de la caverne ! » ?)

Le compositeur et arrangeur Keiichi Okabe a certes fait, dans les années 90, ses premières armes sur les bornes d’arcade de la société Namco (les jeux de baston Tekken), mais on retrouve sa griffe sonore (ornementations à la fois grandiloquentes, excentriques et expérimentales, Henry Mancini, Ennio Morricone et Ryuichi Sakamoto faisant partie de ses influences de jeunesse) aussi bien dans des animes (Working !!! et Yuki Yuna is a Hero) que pour des chansons de J-pop qu’il produit via le studio Monaca, dont il est le fondateur.

Certains membres de MonacaKakeru Ishihama, Keigo Hoashi et Takafumi Nishimura – assisteront Keiichi dans la confection des musiques des NieR, sous la haute supervision de Yoko Taro, qui aime à intervenir lors de chacune des étapes de conception des jeux vidéos qu’il réalise. Il faut savoir qu’au Japon, même si, culturellement, c’est le travail d’équipe – pour le compte d’une société – qui est valorisé, certains créateurs sont de véritables superstars, à la liberté et la prise d’initiatives accrues : Shigeru Miyamoto (Mario, Zelda, Donkey-Kong, etc.), Hideo Kojima (Metal Gear Solid) et Satoshi Tajiri (Pokémon) font partie de la short-list, quand Yoko Taro, malgré toute son énergie et son ingénuité, y aspire encore.

Les jeux NieR se vendent moyennement, les critiques sont partagées, mais les joueurs qui apprécieront ce diptyque lui seront fidèles et, avec le temps, leur communauté grandira, jusqu’à ce que le remaster de NieR (NieR Replicant, précision à l’attention du lecteur perdu) remette en lumière une licence qui le mérite vraiment, ne serait-ce que parce qu’elle est attachante, inventive et porte en elle l’amour de son propre média - NieR est jeu vidéo tout autant que déclaration d’amour au jeu vidéo.

Cette générosité se retrouve dans la foisonnante bande originale des NieR, (trans)portée par les prestations vocales de très haute volée de la chanteuse anglo-japonaise Emiko Rebecca Evans, qui a par ailleurs signé la majorité des textes, usant du portugais, de l’espagnol, de l’italien, du français, de l’anglais, du japonais, du gaélique écossais (!!!) et inventant, pour Song of the Ancients, un idiome imaginaire, afin d’évoquer un futur où les langues ne seraient, à l’instar des bâtiments en ruine arpentés par les protagonistes des jeux, que les vestiges parmi d’autres de civilisations disparues. Ainsi, selon le souhait de Yoko Taro, la voix – seule ou multiple (rappelons la collaboration des interprètes Nami Nakagawa et J’Nique Nicole) – est au cœur des compositions de Keiichi Okabe, qui l’enveloppe d’orchestrations de toute beauté, entre incantation gothique et pop baroque, sur des suites d’accords aux oscillations, inclinaisons et inflexions souvent surprenantes, à la mesure des paysages et des obstacles qui nous sont soumis. La critique ne s’y trompera pas et félicitera chaleureusement les bandes sonores des deux NieR, qui se vendront assez pour intégrer les charts japonais.

Alors il est difficile d’imaginer une écoute déconnectée de l’univers de la série mise en scène par Yoko Taro, mais ce que je sais, en tant que gamer émérite, c’est qu’à chaque minute passée dans les mondes au bord du gouffre qui me sont proposés, si parfois mes doigts pleurent (ouais, il m’arrive de rage de quitter une partie !), toujours mes oreilles s’émerveillent, et c’est sans hésitation aucune que je place l’OST des NieR au firmament des musiques de jeux vidéos : un pur régal.




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