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Sourdure en solo, c’était le passé : Ernest Bergez est désormais plusieurs, mais rien à voir avec Norman Bates, c’est pas que dans sa tête. Accompagné de Jacques Puech, Elisa Trébouville et Loup Uberto, le bidouilleur préféré de la cambrousse underground nous revient avec L’herbe de détourne qui, sous ce nom ou un autre (herbe d’oubli ou herbe de fourvoiement), évoque la perte de repères, telle que subies par des bûcherons du 17ème siècle incapables de retrouver le chemin de leurs hospitalières chaumières.

Il suffirait de piétiner cette plante pour que la boussole s’emballe et que des pérégrinations involontaires s’ensuivent. A une époque où l’on buvait plus d’alcool que d’eau, il était certainement plus simple d’invoquer des esprits malveillants plutôt que d’avouer à sa moitié endormie que l’on s’était mis la tête de travers avec ses compagnons de corvée. J’ai tendance à penser qu’un certain nombre de mythes sont le fruit de mensonges destinés à masquer des hontes par ailleurs peu dramatiques, mais qui aime se faire engueuler quand il rentre chez lui bourré ?

Néanmoins, L’herbe de détourne reste un beau titre, qui rappelle les textes de Charles Ferdinand Ramuz, apôtre des vertes vallées et des mornes âmes, que sans nul doute Ernest Bergez a lus, et je pense plus particulièrement à Derborence, dans lequel l’Antoine enseveli et sauvé peine à revenir à la vie, la vie d’avant. On est loin d’un Huysmans moquant les travers de la vie à la campagne telle que décrite dans le drôlissime En rade. Parce que la couche d’humanisme chez Sourdurent est prégnante dès leur note d’intention : il s’agit d’aborder des sujets sensibles tels que le patriarcat, l’autonomie et la spiritualité.

J’ai bien conscience d’être hors-sujet mais je dois admettre que je suis las de ces discours en forme de cahier des charges émanant d’artistes désabusés par la difficulté qu’a le monde à s’harmoniser – ce qui par ailleurs n’arrivera jamais.

L’autonomie, quand on se veut artiste, elle n’existe pas et n’a jamais existé puisqu’on dépend d’un public (voire, en France, de l’État, sur lequel on peut cracher tout en percevant a minima des subventions – la fameuse intermittence du spectacle, so rebel) ; la spiritualité est une vaste arnaque (on espérait en Occident se débarrasser de toutes les croyances débiles et autoritaires mais elles nous reviennent dans la gueule comme un mortifère boomerang décomplexé ) et le patriarcat, n’en parlons pas, tant sa critique ne s’appliquera jamais aux pays et cultures réellement concernés, et que l’on préserve de nos jugements mal venus d’une impossible réflexion globale – confèrent les multitudes de chanteuses conscientes / éveillées / cheveux gras / gros culs qui jamais ne débattront en dehors de leurs confortables sphères commerciales.

Allez, laissons Soudurent tranquilles, ils sont comme tout un chacun le fruit idéologique de leur époque, et l’élargissement de l’univers folk chamanique d’Ernest Bergez s’avère plutôt plaisant (Chamin Ne Vol Pas est issu de la musique traditionnelle afghane quand Le Tonnerre + Trop de Dieu se réfère à la Tunisie), mettant en exergue, par son caractère bourdonnant, des arrangements aventureux et des chants volontaristes, le lien culturel qui nous entraîne de Celtie en Orient.

Et même si cette fougue est monotone de par les gammes et harmonies qu’elle explore (toute la limite du registre traversé), elle s’avère être une efficace herbe de fourvoiement, me projetant dans le souvenir d’un raout du Bagad de Lann-Bihoué donné sur l’aéroport du même nom, dans les 90s, durant lequel tout me paraissait si long que le temps s’en était suspendu – voilà qui fait de L’herbe de détourne une expérience psychédélique de premier ordre.




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