Lors de sa sortie au printemps 2019, le jeu vidéo indépendant Outer Wilds, développé par Mobius Digital et édité par les californiens d’Annapurna Interactive, a fait frémir la ludosphère, par sa narration si mélancolique – le personnage évolue dans une boucle temporelle d’une durée de 22 minutes, à l’issue desquelles invariablement son monde s’embrase puis s’éteint, l’objectif étant de comprendre pourquoi et d’y remédier, chaque apocalypse le ramenant à son point de départ, un feu de camp la nuit sous les étoiles amnésiques – et son atmosphère si particulière, à la fois amicale et mélancolique : les secondes précédant l’explosion du soleil s’accompagnent de volutes sonores qui piquent le cœur, une civilisation disparaît dans un souffle et c’est l’âme pincée que nous nous réveillons encore et encore, la scène finale du magistral Sunshine (Danny Boyle), rejouée sans cesse, sur fond de banjo bourdonnant - terrible.
Inlassablement, nous grimpons dans notre vaisseau spatial, explorons des planètes aux dynamiques particulières (comme dans le Interstellar de Christopher Nolan, vu un soir solitaire de Noël, le cœur un peu brisé à cause d’une girlfriend au cœur également un peu brisé, dans une salle pleine au MK2 Bibliothèque – je ne vais seul au cinéma que lorsque mon univers intime s’écroule, et ce fut le cas pour Titanic et Breaking The Waves), qu’il s’agira d’apprivoiser pour avancer, cataclysme après cataclysme. Sauf qu’au bout de 21 minutes, la petite musique mortuaire égrène quelques notes (End Times), on se dit flûte, et on brûle dans le ciel brûlant.
Nous ne sommes pas isolés dans notre quête du pourquoi, du comment, du où-vais-je, et sur chaque planète que nous arpentons un voyageur échoué patiente, jouant en boucle quelques notes de musique. Ils interprètent tous le même air et nous guident, mais c’est seulement à la fin que les mélodies additionnées feront sens en nous, comme pour nous rappeler que seul l’on n’est pas grand-chose.
C’est la grande force de la bande-son composée par le floridien Andrew Prahlow, qui remportera un nombre invraisemblables de distinctions honorifiques : non seulement elle ponctue à merveille le gameplay de Outer Wilds, servant de fil conducteur émotionnel aux tragédies circulaires vécues par le personnage, mais elle s’abreuve également du meilleur du post shoegaze, de l’ambient électronique et des montées de sève à la John Murphy (The Ash Twin Project), sachant que le sommet en est une toute simple ritournelle qui met comme rarement le banjo à l’honneur : Outer Wilds est un mini-tube instrumental, une ode à l’espérance et à la résolution de problèmes à priori insolubles, tels que la fin du monde.