Ces derniers mois, le collectif et label Entre-Soi a su attirer notre attention placide à coups de EP vivaces (Concordski, Vestes, Alexis Lumière) et d’albums ébouriffants (MacThenardier, Pasta Grows On Trees, Médaille), mettant en avant des artistes à la folle singularité, sur laquelle, pour certains (notamment Indus et Gaspard Ricard), il conviendra, si le temps – maître tenace à la laisse si peu souple – nous le permet, de faire un travelling arrière.
Chant en retrait, à l’instar de l’excellent Rémi Parson, Paul Emploi attaque bille en tête le versant pop lo-fi synthétique de la chanson made in France, avec un « K2R » électro cheap porté par une ligne mélodique répétitive durant laquelle il égrène les cauchemars tenaces auxquels par ailleurs il dit au-revoir. Ils reviendront, sans nulle doute attirés par la mélancolie poisseuse qui se dégage de l’ensemble. Le bonhomme enregistre dans sa tanière des titres DIY qu’Entre-Soi a finement compilé, pour nous présenter un portrait de l’artiste en jeune chien moderne. Le ton est désabusé, mais comment ne pas l’être lorsque rien dans l’époque ne s’avère nourrissant ?
Rythmiques arrachées de leur biome EDM et claviers trafiqués servent de socle à des comptines déviantes, au langage résolument défaitiste et néanmoins sagace. La répétition des mots et des phrases, comme sur « Les plantes poussent chez moi » et « Tu fais cliper mon cœur », forme en sous-main un mantra pop, ascendance new wave étouffée, jamais étouffante. Paul Emploi a mis un couvercle sur ses émotions, tout sera énoncé avec quiétude et détachement. Pourtant, il y a dans la dynamique des compositions un allant indéniable, entre impressionnisme (ces contours à peine esquissés) et pointillisme (la précision des contrepoints rythmiques).
Même quand Paul Emploi hausse le ton, comme sur « La ville crade », il le fait avec une sorte de flegme transcendantal. On l’imagine très bien enregistrer chez lui, sur du matériel bas-de-gamme, un peu j’en foutre, détaché des injonctions technologiques – il y a parfois un goût de The Bloody Beetroots, le sens de la dissonance urgente, du synthé qui se barre en couilles, du clavier qui gueule, du papal sans fidèles.
Il y a bien eu un EP en 2019, au titre infiniment porteur (« Chômage Technique ») mais la compilation de démos « Maison », en seize titres disparates et néanmoins d’une homogénéité crasse, marque l’entrée de notre homme si discret dans le game : si vous tentez une recherche à partir de son nom d’artiste sur Google, bam, vous voilà aux portes de Pôle Emploi : discrétion absolue, on supposera que notre homme n’aime pas la lumière parce qu’il a déjà un boulot et que sa musique un peu barrée le desservirait dans une carrière qu’on lui souhaite longue et hautement rémunérée.