> Critiques > Labellisés



Nos sociétés humaines sont si bien conçues qu’elles absorbent tout. Invariablement, la contre-culture devient la culture, tandis qu’une autre contre-culture germe dans les profondeurs. L’éthique est temporaire et les codes se diluent : Virginie Despentes à l’académie Goncourt, les tatouages et crêtes de punk des footballeurs, la soudaine popularité des geeks obèses aux cheveux violets, les contestataires qui deviennent secrétaires d’État, les chaussures Dr. Martens portées par des rappeurs, j’en passe et des meilleures. Sachez-le, notre système est un bilan comptable, toujours à l’équilibre.

Ainsi, il reste quoi de la beat generation ? Lyophilisée par les clichés et les suiveurs, elle subsiste dans l’imaginaire collectif à travers les hippies, qui n’en ont retenu que les excès (paresse, ivresse, fumette), faute d’en égaler le talent. Parce que oui, la plupart des auteurs de la beat generation sont des putains de bons auteurs, Jack Kerouac étant l’arbre (grossier) qui cache la forêt. On a affaire à des types qui ont expérimenté le champ des possibles et ça commence dès London et Cendrars : il s’agit de vivre à fond, quitte à se brûler les ailes, et alors on voyage sans confort, on enquille les boulots de merde, on se mêle au(x) peuple(s), on écrit sur un coin de table, on se bourre la gueule, on chante à la pleine lune, mais on le fait avec brio et de ces errances naissent des textes forts, entiers, poétiques et salaces, ça donne des Burroughs et des Ginsberg et (plus tard) des Brautigan, soit une assemblée hétéroclite d’individualités qui en aucun cas ne se percevaient mouvement, la qualification « beat generation » restant une histoire d’universitaires qui prennent le train en marche.

Bob Kaufman, dont il est question dans « All Those Streets I Must Find Cities For », fait partie de ces poètes échevelés dont l’histoire a peu retenu le nom. Né pauvre, mort pauvre, marin, communiste puis poète, il fait parler de lui grâce à un manuscrit trouvé dans la corbeille d’une librairie, qui sera publié par Lawrence Ferlinghetti, quand bien même son auteur, dégoûté par l’époque, s’était muré dans le silence. Il se remettra à écrire, plus tard, mais ça ne changera rien.

Né pauvre, mort pauvre, mais pas oublié. Autour des frères Acher (The Notwist) se forme un super-groupe, The Plastik Beatniks, qui se chargera de revitaliser l’œuvre de Bob Kaufman : constitué de collages sonores, de rythmes hypnotiques, de synthétiseurs souffreteux et de featuring prestigieux (Patti Smith, Moor Mother, Angel Bat Dawid), « All Those Streets I Must Find Cities For », publié par le label Alien Transistor, fait également entendre la voix de Bob Kaufman, comme lors d’une séance de spiritisme à laquelle on aurait aimé assister. Une épitaphe émouvante, passionnante et méritée.




 autres albums


aucune chronique du même artiste.

 interviews


aucune interview pour cet artiste.

 spéciales


aucune spéciale pour cet artiste.