> Critiques > Autoproduits



Ecouter un album de Summer n’est pas une expérience anodine. Vous ne l’écouterez pas calé dans un fauteuil club avec un bon livre à la main (pipe et cherry), vous ne l’entendrez pas dans un ascenseur ou dans un supermarché (encore que, si l’un d’entre vous est DJ pour une enseigne de la grande distribution, il serait intéressant d’étudier l’impact de la diffusion de Summer sur les habitudes de consommation des clients). Ma première rencontre avec Summer s’est produite il y a à peine un an, un peu par hasard, avec l’EP Laura Gemser et l’instrumental Paranog3. Ce n’est pas le premier titre de l’EP et je ne me souviens plus pourquoi j’ai commencé mon écoute dans le désordre. C’est comme ça ; et je suis resté bloqué, interdit, stoppé net dans une spirale du temps qui ne semblait pas vouloir me laisser partir. Puis la voix, le timbre particulier de Jean. Libido et la claque des mots. C’était donc ça Summer ?

Et voilà que cet EP annonçait en fait un LP disponible le 15 octobre 2015. Hot servitude, c’est son nom, 8 titres, 23 minutes et 11 secondes.

Basse synthétique, batterie, distorsions de guitares enchevêtrées. “Le monde peut bien s’effriter”. J’ai l’impression de marcher beaucoup trop tard dans une rue beaucoup trop noire, trop seul, après une soirée beaucoup trop. Trop tout. La tête prise dans l’excès, noyée, submergée d’images sans plus savoir ce qu’elles représentent et tout se bouscule. Même le bonheur semble être souillé par cette parodie que l’on en fait chaque jour pour se faire croire qu’on sait ce qu’il est alors qu’en fait, on ne sait même pas le reconnaître quand il nous tombe dessus. C’est dans le noir que la lumière se fait. Démarche bancale, rythme qui se casse, puis cours se vautrer dans nos “nuits sales”. Le monde défile, s’admire et se zappe à la vitesse d’une branlette sur une vidéo gonzo, les guitares m’arrachent les oreilles et je me perds “au centre d’une ville qui, jour après jour, ne cesse de perdre la mémoire”. Au milieu des hurlements, de la douleur des synthés, le chant scandé avec toutes ses fêlures devient un point de repère, malgré tout.

Et nous voilà pris à baiser des vitrines tant notre désir de toucher le rêve se confond avec notre besoin de se sentir exister. Les mots claquent, les mots d’amour, les mots hardcores, des slogans comme on nous en jette à la gueule, punchlines dit-on aujourd’hui ; diablement efficace.“Trop de corps érotisés à observer” et on en veut encore, plus, toujours plus. L’amour, le sexe, la vie, les ravages d’un fric auquel on s’est attaché comme un esclave SM à sa maîtresse, cette putain de drogue qu’est l’existence, souvent trop lourde à porter et pourtant tellement addictive qu’on veut se faire mal pour être sûr qu’on est bien là, fatigué, essoufflé, en sueur, sale. Jean Thooris et sa bande nous emmènent dans les bas-fonds de notre âme pour y contempler ce qu’elle a de plus vrai, si loin que les mots se perdent… “ouais… et…” il ne reste que le rythme, le bruit, et la musique qui devient industrielle… “ouais… tu vas faire qu… [...] putain, salaud”.

Et pourtant, “peut-être demain, les aveugles se souviendront-ils du souci des belles choses.” Merci Summer.