Juan de Guillebon, alias DyE, n’est pas seulement l’une des meilleures recrues du label Tigersushi, il est également un artiste assez insaisissable prenant le revers des attentes et des tendances. Nous étions restés sur l’incroyable vidéo-clip illustrant le titre « Fantasy » (issu de son premier album, « Taki 183 ») et son imagerie rameutant le souvenir du cinéaste Hideki Takayama (célèbre pour l’anime porno gore « Legend Of The Over-Fiend »). Et nous imaginions déjà De Guillebon s’en aller plus loin dans une électro-funk salasse et déviante. Le titre de ce second album résonnait pourtant comme une promesse de sonorités flashy, dansantes et ensoleillées : « Cocktail Citron », difficile d’envisager plus léger comme porte d’entrée. Le teaser de l’album (présentant un peu plus d’une minute de l’énormissime « Steel Life » - tube en puissance façon Kavinsky) poussait sur le bouchon ludique et sexy puisque deux pin-up au volant d’une Cabriolet y buvaient de façon suggestive des cocktails hors de prix (comme si l’actrice Tori Black avait joué dans « Risky Business »). Nous supposions ainsi un album aux contours 80’s et aux coutures finement produites, une carte postale aux couleurs tendance arc-en-ciel… Au finish, « Cocktail Citron » est heureusement plus complexe que son teaser certes redoutable mais renvoyant sur une fausse piste.
Prendre au sérieux les paroles ambigües du titre éponyme : « Cyber produit / Hallucinations / C’est mal parti / Acide qui crépite / Au fond de ma bouche tu t’agites ». Comme un film de John Hugues qui virerait soudainement à un trip façon Roger Avary, comme un néon de night-club dégueulassé par trop d’abus chimiques, « Cocktail Citron » est un puzzle composé de montées et de descentes, d’envolés dansantes et de retours brutaux à la dure réalité du produit frelaté. Dans ce cocktail, il n’y a pas que du citron…
Déjà, en ouverture, « Before Today » prend le contrepied du lumineux « Steel Life » : rythmique ni trop enjouée ni trop spleeneuse (le New Order apathique de « Low / Life » se rappelle à nos meilleurs souvenirs), tempo soudainement alanguie, tristes synthés, promesse d’une nuit noire… « Downlovers », lui, ramène DyE à ses démons funky, mais le chant ressemble à celui d’un amant largué aux premières lueurs de l’aube (quelques accords de guitares indie-pop insistent sur la terrible mélancolie perceptible derrière les apparats tubesques du morceau). « Princess » : les plages et les filles en bikini ne sont toujours pas au rendez-vous ; au lieu de cela, des synthés dépités, une ambiance dark-wave. Plus ouvertement radio (pour le genre de standards inquiets qui pullulent de moins en moins sur les ondes), « She’s Bad » (avec Egyptian Lover au chant) est une machinerie métronomique aussi martiale que soudainement aérée (rythme imparable, atmosphère oscillant entre les égouts et la surface de la terre). Plus loin, « Bang 666 ! » est incontestablement le meilleur titre Acid House entendu depuis… « Halleluja » des Mondays ?
Tuerie dance-floor (mais sans doute guère là où nous attendions Juan de Guillebon), « Cocktail Citron » ressemble à un voyage dans une Quatrième Dimension électronique, à une prise d’acide aux effets ambivalents, à du Nicolas Winding Refn commandant une B.O.F à Joakim pour un film dans lequel Ryan Gosling déambulerait en plan-séquences de private-club en private-club. Triste, sombre, dansant, poignant (le délicat « Sunrises »), le nouveau DyE est un kaléidoscope dont l’écoute assidue ne permet toujours pas d’en délimiter les recoins cachés. Accoutumance garantie !