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François Joncour : Comment la musique a-t elle été composée ?

Pascal Bouaziz : Pierre-Yves Louis avait acheté une petite boîte à rythme dont on ne savait pas se servir. Pour essayer de faire quelque chose que l’on n’avait pas déjà fait, on s’est dit qu’on allait improviser à partir de cette boîte à rythme. J’avais les textes à côté de moi et je me disais : "Sur ce rythme-là, je pourrais poser tel texte". Il y avait aussi des sons dans cette boîte à rythmes, des choses bizarres et là, je me disais : "Tiens, ce son-là, il peut s’accorder à tel texte". On faisait donc des trames, des croquis qu’on enregistrait. Je posais ma voix et, par-dessus, on ajoutait quelques instruments. Tout cela avant d’aller en studio où l’on s’est tous mis dans la même pièce. On écoutait au casque ces croquis et l’on rejouait par-dessus. Voilà la méthode pour ce coup-ci. On change à fois pour éviter de sortir toujours le même disque.

François Joncour : Ce disque fait la part belle aux percussions, aux bruitages, aux sonorités électroniques…

Pascal Bouaziz : Dans les textes, il y a beaucoup de paysages dans lesquels des personnages évoluent. Ils marchent dans des rues, des villes nouvelles. Par les sons électroniques et les bruitages, on obtient des correspondances plus fortes, peut-être, que si l’on avait simplement deux guitares acoustiques. Il y a presque un travail de mise en son cinématographique. Après, on fait quand même de la musique, on ne fait pas de l’expérimentation sonore, mais il y a, c’est vrai, ce goût de proposer quelque chose de différent. Là, c’est passé par cette boîte à rythme particulière qui est tombée au bon moment, au bon endroit. Elle nous a aidé à aller plus loin, à construire des paysages. Par exemple, dans la chanson "Ville nouvelle", on n’est pas du tout dans la construction harmonique, on est vraiment dans la construction d’un espace.

François Joncour : Le travail sur les textures sonores et la mise en espace des sons est également très impressionnant…

Pascal Bouaziz : C’est la première fois qu’on travaillait avec un ingénieur du son depuis 2001. On est tombé sur Stéphane Blaess, un super mec qui a notamment travaillé à New York avec Brian Eno et au Nigeria avec Fela Kuti. Il a fait en sorte que chaque son fasse sens par rapport à l’autre mais qu’il ait aussi son indépendance et conserve sa nature, sa beauté propre.

François Joncour : L’album convoque beaucoup d’images à la fois littéraires et cinématographiques. Y-a-t-il des réalisateurs auxquels vous êtes particulièrement sensibles ?

Pascal Bouaziz : Je vais dire des banalités mais, oui, Bergman, Kurosawa... Mais c’est des banalités… Si quand même, Dodeskaden de Kurosawa a sûrement eu un impact sur mes textes. Mais bon oui, c’est banal quoi…

François Joncour : Personnellement, j’ai pensé aux films d’Andréï Tarkovski en écoutant le disque…

Pascal Bouaziz : Oh oui ! Pardon, j’ai oublié Tarkovski… (rire). Oui, Tarkovski, très très important… Parce qu’il est totalement libre malgré la censure et les conditions techniques difficiles. Il arrive à faire quelque chose qui ait sa propre vie. Il se moque presque de la perception - ce qui n’est pas tout à fait mon cas - parce qu’il cherche quelque chose et il va le chercher jsuqu’au bout, en espérant trouver non seulement quelque chose de nouveau mais quelque chose de fort, qui est hors-format. Quand on regarde un film de Tarkovski, on n’est pas du tout dans le storytelling, on ne se demande pas "C’est qui le bon ? C’est qui le méchant ?", on n’est pas du tout dans un univers Walt Disney. Univers que j’ai l’impression de voir partout maintenant...

Partie #1

Partie #3

Crédits Photos Emmanuelle Bacquet