Moinho est le projet du pianiste Palois Franck Marquehosse. Officiant en solo, sans filet ni béquilles, il propose une musique dépouillée et mélodique jouée avec une grande délicatesse. Son premier album, "Baltika", est sorti en 2012 et faisait suite à un magnifique exercice de style paru sur la compilation "Satie et les nouveaux jeunes". J’ai la chance de connaître Franck Marquehosse, qui m’avait contacté à la sortie de mon album en 2008 et avec qui je suis devenu ami. L’estime voire l’admiration réciproque que nous nous portons n’est pas étrangère à ce sentiment, et chaque écoute de sa production me le confirme : Moinho est à part de la production musicale actuelle, presque suranné dans sa recherche d’une beauté réelle et non d’un effet sur l’auditeur. Je le connais sincère, subtil et modeste, et je ne suis pas surpris de la tonalité de l’interview que nous avons réalisée : à la lecture de ses réponses, on découvre un réel artisan, formant et polissant sans relâche ses compositions, recherchant sa petite musique personnelle pour, loin des chapelles, lui donner la forme qu’il souhaite. Moinho n’est ni neo-classique, ni répétitif, ni pointilliste, il ne s’inscrit pas dans un des courants du piano actuel tout en les ayant intégrés. Il écoute de la pop, du post rock, du shoegaze et plein d’autres choses, et voue une profonde admiration à Arvo Part. Il avance à son rythme, en pleine conscience qu’étant hors des modes, il a le temps pour allié.
Les deux sorties de Moinho sont parues chez www.arbouserecordings.com/.
ADA : Moinho est un projet au piano, en solo, sans dispositif ni bandes. Qu’est-ce qui t’attire dans ce dépouillement, en studio et en concert ?
Moinho : Eh bien en fait, ce sont les nombreuses années passées en groupe (au chant) qui m’ont donné l’envie de créer un projet solo et c’est le côté acoustique, frontal et immédiat qui me plaît dans ce projet. Mais, c’est finalement le temps et les circonstances qui m’ont amenés à me retrouver seul devant l’instrument, rien n’était réellement réfléchi à l’avance..
ADA : Quel genre de groupe était-ce ? y jouais tu du piano ?
Moinho : C’était des groupes à tendance noise avec un côté Pop dans les mélodies, j’ai été avec deux amis, à l’origine du groupe Mygük, j’ai ensuite rejoint un autre groupe nommé aelfiah, toujours en temps que chanteur et plus ou moins dans la même recherche esthétique. Ce projet s’est arrêté au bout de quelques années après quelques concerts locaux, une démo et la mise en musique de deux pièces de théatre amateur. Je commençais à peine à jouer un peu de piano sur ces deux spectacles.
ADA : Qu’est-ce qui t’a attiré vers le piano après la fin des groupes ?
Moinho : J’avais une forte attirance envers cet instrument sans savoir pourquoi. Pourtant je n’avais que de piètres connaissances en matière de musique classique ou contemporaine. Ce n’était pas la musique que j’écoutais à ce moment là. Je pense que l’autonomie (mélodique, rythmique..) permise par cet instrument m’a naturellement attirée. Tu me parlais tout à l’heure de l’absence de dispositif et c’est vrai que le piano permet ça. Tu as le sentiment d’être plusieurs musiciens à la fois lorsque tu joues du piano..
ADA : Et donc, tu as appris tout seul étant adulte ?
Moinho : Pas tout à fait. A 25 ans, j’ai pris deux ans et demi de cours ( je n’ai pas terminée la dernière année..), histoire d’obtenir les bases concernant les placements de doigts, c’était important pour moi. J’ai eu une très belle écoute de la part de mon professeur, H.Carrère, et beaucoup de compréhension concernant ma démarche ; il n’a pas cherché à me façonner mais plutôt à m’aider à peaufiner les prémices de composition que je commençais à mettre en place. Il m’a finalement conseillé de me lancer à fond dans la composition voyant que ce n’était pas la recherche de technique qui m’intéressait.
ADA : Comment se fait il que l’univers que tu as développé se rapproche de la musique contemporaine minimaliste, et aussi de la musique romantique, alors que tu ne viens pas de ce milieu là et que tu dis que tu n’avais à l’époque pas vraiment de connaissance de ces musiques ?
Moinho : C’est vrai. J’imagine que les groupes que j’écoutais, même ceux n’ayant rien de classique en apparence, avaient eux même digéré ces musiques là. Je pense que de toute façon, on invente jamais vraiment. On apporte sa touche pesonnelle à une évolution en marche. Bizarrement, j’ai énormément découvert de musiciens sur des conseils venant d’amis ou de personnes trouvant des similitudes avec telle ou telle de mes compositions... C’est le cas pour Philip Glass, ou Arvo Pärt notamment.
ADA : Combien de temps s’est écoulé entre les débuts et ton premier disque chez Arbouse ? Est-ce que ce tes compositions ont évolué avant d’arriver à ce disque ou es-tu parti dès le début dans cette veine ?
Moinho : Je dirais qu’il s’est passé exactement 10 ans entre la première fois où mes doigts se sont posés sur un clavier de piano et mon premier album sorti l’an dernier chez Arbouse Recordings. C’est sûr que mes compositions ont énormément évolué au fil des années, certaines pièces comme ’la saison des pluies’ (qui tire son nom d’une nouvelle de Stephen King) ont connu des évolutions notables. A la base ce morceau commençait strictement de la même manière mais se poursuivait sur un fomat Post-Rock avec guitare-basse-batterie-violoncelle et accordéon. Il servait d’introduction à la pièce de théatre du même nom. Même chose pour ’Fog on the Thames’, dont le thème principal a été composé dés mes débuts alors que le morceau dans sa globalité a connu "mille" évolutions. ’Antre’ est le premier thème que j’ai trouvé au piano, il est inchangé depuis l’origine ; il ouvre l’album..
ADA : à quel moment t’es tu senti prêt à enregistrer ? as tu fait des démos avant de te lancer dans l’enregistrement de ton disque ?
Moinho : Oui, j’avais fait deux démos avant cet album. La première en 2008 avec un ami accordéoniste car à une époque ce projet était devenu un duo. Et l’autre en 2009 (la première en solo) à l’issue de mon premier concert à La Centrifugeuse à Pau, en première partie d’Hauschka et de Colleen, sous l’influence d’amis qui me conseillaient de créer un compte Myspace... Elles comprenaient 8 ou 9 titres à chaque fois.
L’enregistrement comme la scène sont encore une véritable épreuve pour moi, je peux jouer les morceaux de la plus belle manière qui soit, seul devant mon piano, et dès que l’on lance l’enregistrement, les mains deviennent moites, les doigts s’emmêlent... Enfin, beaucoup de musiciens connaissent ça mais en ce qui me concerne, c’est encore très présent. A l’issue de ce deuxième enregistrement, j’ai décidé de contacter quelques labels afin d’avoir quelques retours concernant ma musique ; j’aimais beaucoup les sorties d’Arbouse, Cyril Caucat qui gère le label est le premier que j’ai contacté, il m’a répondu quasiment instantanément. Après quelques échanges, il m’a proposé de composer un titre en hommage à Erik Satie, afin de me faire intégrer le projet "Erik Satie et les Nouveaux Jeunes", ce que j’ai fait (’Movements & Variations for Satie’). La deuxième étape fut d’évoquer ensemble l’enregistrement de mon premier album, voilà, tout s’est fait assez naturellement, en fait.
ADA : Comment t’y es-tu pris pour l’enregistrer ?
Moinho : De manière disons artisanale. A l’issue d’un concert à La Centrifugeuse, un magasin de pianos palois m’a laissé un piano ayant servi à ce concert durant deux jours, sur place, à disposition. Deux amis, (l’un régisseur technique de la Centri, l’autre guitariste) se sont occupés de la prise de son et du mix. Certains morceaux ne convenant pas, nous sommes allés terminer l’enregistrement directement dans le magasin, avec la complicité du vendeur !! L’enregistrement du morceau hommage à Satie, à été fait chez moi, sur mon piano droit et date de l’enregistrement fait pour la compilation.
ADA : Et, donc, le premier album sort. Quel a été ton sentiment ? et avec le recul, que penses-tu de ce disque ?
Moinho : Je suis heureux d’être allé au bout de cette première étape, heureux aussi de mettre un point final à l’évolution de certains très anciens morceaux, comme le sentiment aussi d’enfin, pouvoir passer à autre chose. Je ne dis pas que je n’ai pas été en proie à de sérieux doutes entre la fin de l’enregistrement et la sortie physique mais c’est bien qu’il soit comme il est, avec ses défauts. Il est le reflet de ma façon de procéder depuis le début et de ce que je suis. Je ne suis pas un virtuose, et reste comme n’importe quel musicien qui enregistre son album chez lui à la guitare. Je joue du piano mais ce n’est pas différent. J’aime ce disque, j’aime le visuel et l’objet en lui même, et puis, j’adore encore en jouer les morceaux, c’est quand même un signe..
ADA : Après l’album, les concerts, un tout autre univers ? - comment les abordes-tu ? qu’en retires-tu ?
Moinho : Le fait de ne pas utiliser de boucles, etc... rend l’exercice difficile, j’ai le sentiment de ne pas vraiment avoir droit à l’erreur. Les premiers concerts ont été compliqués à appréhender pour moi. J’accordais trop d’importance aux imperfections. J’essaye de travailler ça avec le temps et l’expérience. Parfois avant de monter sur scène, je me demande pourquoi je me mets en danger comme ça, et puis quand le concert s’est bien passé, je suis heureux, j’oublie tout et j’attends le suivant avec impatience.
ADA : Quelle est la réaction du public à ta musique ? Sais-tu quel est ton public ?
Moinho : On me parle souvent de son côté cinématographique. Comme toutes les musiques instrumentales, elle laisse la place à l’imaginaire. J’aime assez l’idée qu’elle puisse entraîner l’auditeur dans un moment de réverie. Je ne sais pas vraiment quel est mon public, cela dit, je pense qu’il peut venir d’horizons très divers, allant de la musique classique à des choses beaucoup plus dures en passant par la musique électro. Enfin, je crois.
ADA : Quels sont tes projets pour Moinho ?
Moinho : Je travaille actuellement sur mon second album que je souhaite plus étoffé. Les bases des morceaux sont prêtes, des pièces globalement plus longues et répétitives que sur Baltika. Quelques morceaux piano solo seront encore présents, mais aussi et surtout des morceaux enrichis d’un quatuor à cordes, un Therevox (instrument dans la lignée des ondes Martenots), un ou deux cuivres, ainsi que quelques percus type metallophone ou marimba si possible. Tout cela dans l’idéal mais cela prend forme petit à petit. Je vais prendre le temps. Parallèlement, et plus rapidement devraient sortir quelques nouveaux titres sur Arbouse Recordings afin d’accompagner la sortie du Manifeste des Clandestins sur Arbouse Editions et la sortie vinyle d’ "Erik Satie et les nouveaux Jeunes".
ADA : Pour finir, d’où vient le nom de Moinho ?
Moinho : D’un voyage de quelques semaines au Portugal, c’est un mot qui signifie Moulin. C’est un mot dont la typographie m’avait accroché l’œil alors que je cherchais un pseudo pour mon projet. Et puis en France, la prononciation renvoie à l’oiseau inévitablement, et en passionné d’ornithologie, ça me plaisait de rendre hommage à ce petit piaf mésestimé.
crédits des images, la photo est de Toniomodio et le visuel avec les oiseaux est de Coline Hateau