Ah Nick Cave...Bien longtemps qu’il a surélevé le ciel de mes attentes. J’ai parfois eu tendance à le diviniser un poil, mais très peu ont eu ce privilège (Neil Young, Jason Molina, Tom Waits, et un joker).
Alors voilà, je parle avec GDO et il me dit qu’il y a chronique à faire. Mais je me méfie car j’ai peur de tomber dans un nuage de superlatifs. Enfin bon après tout, j’ai tendance à privilégier la découverte dans mes choix, alors ça fait plaisir cette fois d’avancer en terrain connu...quoi que là !
Nick Cave fait partie de ces gens dont la musique est une expérience, qui parle avant tout...de musique. Bizarre à dire mais je pense ça au même titre que les films de Wim Wenders parlent souvent principalement de cinéma. Cave est un type qui soigne avant tout l’expression artistique, le style, la forme, esthète et poète, et ça lui réussit !
Chaque album développe un aspect. Et Push the sky away ? Ah oui, je ne vais pas dériver en bio. Donc Cave (oui j’y viens), est un type esthétique, et jusqu’à il y a peu il avait atteint un équilibre dans sa trinité Nick Cave & The Bad Seeds/Grinderman/Nick Cave & Warren Ellis, séparant alors ce qui fût uni (à l’époque de Murder Ballads par ex). Ainsi il pouvait répondre à ses besoins en les poussant au paroxysme, Grinderman/violence par ex, car Cave est un homme de l’excès. Fin de la parenthèse théologique.
On le retrouve aujourd’hui très apaisé, après comme avant sa période de dissociation (Boatman’s call), peut être aussi vidé de sa colère. On le reconnaît, mais l’esthétique de ce nouvel album est différente, marquée par les b.o et émancipée d’explosions et de ses accès de furie. Si l’expérience Grinderman l’a permis d’évacuer, c’est sûrement aussi le départ du non remplacé (et irremplaçable) Mick Harvey, qui a laissé un vide...ou plutôt un silence nouveau que Nick Cave a choisi de remplacer par : ben par rien !
Push The Sky Away porte bien son nom, vaporeux, aéré, suspendu (bon c’est pas du lo-fi quand même !), en un mot : religieux. Tel qu’il sait l’être, avec ce côté mystique de révérend sorti d’un vieux western. Et ce n’est pas son ton de prédicateur sur "Water’s Edge" qui va contredire l’impression, avec cet aspect proche de la répétition liturgique, la même qui m’avait obsédé avec "The Mercy Seat", son hymne ultime. Religieux aussi à l’instar d’un de ses mentors : Leonard Cohen. Après tout "We no who u r" rappelle certains thèmes de Cohen, surtout dans le son et la légèreté voire la pureté du toucher. Une délicatesse et une contemplation qu’on retrouverait aussi dans Tindersticks, sûrement parce que comme eux, Nick Cave est un type classieux. "Wide lovely eyes" a ce côté inquiétant au début soudain transformé en merveille par un chœur en murmure. Envoûtant ! "We real cool" porte bien son nom, la mélodie belle et aussi apaisée transporte, et toujours ces arrangements étranges qui sonnent comme les pas d’un errant tandis que les violons viennent en vagues salvatrices. Mélodiquement apaisé oui, car c’est beau sans la gravité qui habitait le non moins magnifique "No more shall we part".
Je ne voulais pas décrire tous les morceaux, mais je me fais plaisir à écrire, autant que j’ai de plaisir à écouter notamment ce "finishing Jubilee street" à la légère batterie très présente, petites cordes, et chœur de voix pures (mômes ? l’innocence ???) à rappeler Sufjan Stevens version light.
Contrairement à son prédécesseur, Push The Sky Away semble être quasiment une grande suite, un morceau aux mouvements différents, une fuite composée d’images furtives, d’instantanés, de longs travelling, de plans séquences. Parfois dans une abstraction fiévreuse, les instrumentations sont étranges et bouillonnantes, au bord de l’explosion sans pour autant y plonger, ce qui est assez déroutant au début, rappelant parfois ses premiers disques. Intéressant, car plutôt que d’ajouter neuf nouvelles chansons magnifiques, Cave ajoute un album indispensable, avec une personnalité nouvelle. "Jubilee street" nous offre pourtant une montée, mais qui ressemble plus à une apothéose d’accession céleste. Il faut dire aussi que les arrangements participent de l’ambiance, comme un orchestre en attente dans un hall de gare, peut être celui du paradis, et on y croit au paradis quand le refrain de "Mermaids" commence. Touché par la grâce le Nick, c’est aussi beau qu’Easy Money (Abattoir Blues).
"Higgs Bosom Blues" est un blues allumé et étalé sur 7 min, qui m’a fait penser au magnifique On the beach de Neil Young (le morceau), donc par la force des choses c’est un des morceaux qui m’a le plus accroché (disons le diamant parmi les pépites d’or), avec cette progression langoureuse, la voix qui serpente, racle, monte, lâche du leste avec parcimonie, pour laisser le tout redescendre et nous amener à "Push the sky away" qui clôture le disque, tout en proposant une ouverture profonde vers ailleurs, un morceau spectral et testamentaire.
J’avais bien aimé le style de Dig Lazarus Dig, sans non plus la ferveur qui m’avait habité auparavant. Faut dire que j’ai plus suivi ses dérives avec le père Ellis, pour leurs b.o juste géniales, et aussi ce dernier au sein du fabuleux Dirty Three (d’ailleurs, il y a un peu de Dirty Three ici). Et je retrouve cette ferveur d’antan, le même enthousiasme qui m’a habité. Push The Sky Away, Amen !