Il y avait eu Boring Pools en 2015, déjà un disque un peu lointain, qui avait mis de plus le temps à me parvenir, doucement, quelque part à mi-chemin avec celui-ci, puisque je découvrais alors We Only Said en 2017, et immédiatement ce fut le coup de cœur. Pensez-vous, j’écoutais précieusement, religieusement le Leaves Turn Inside Out d’Unwound, et je retrouvais tout ce qui en faisait la beauté et la force ici. Soit, ce mélange automne/été, sorte d’été indien, de vieilles cruautés amères qui se seraient adoucies, de mélodies sépia venant de temps passés, de temps qui ne sont plus là.
Ainsi, le ton est donné sur BEFORE THE END, d’un piano un peu lo-fi qui boucle on arrive bientôt à quelque chose de plus enlevé, la batterie sèche, les violons bruités, pour une petite cacophonie assourdie, qui s’étouffe soudain pour entrer dans une dernière phrase plus atmosphérique, de souffle qui vient et repart. C’est aussitôt DEAD MEN qui relance la machine, sur une mélodie élégante de basse (peut-être trop inaperçue) tandis que les voix féminines et masculines se répondent, dans leurs manières un peu adolescentes, sorte de parlé-chanté lancinant qui manque peut-être d’un sursaut, souligne toutefois l’atmosphère d’entre-deux de l’album, une violence sourde, qui se refuse à éclater la plupart du temps, et la ouate de l’autre côté, en arrondissant des mélodies qui pour moi gagneraient toujours à se dégager un peu… Ce qu’elles font alors sur l’émouvant GO PAST, les arpèges très simples et qui fonctionneront toujours sur mon cœur en boule-de-chaussettes, ça et la finition en pleurs perturbés de violons.
Puis soudain on arrive à la douceur imprévue de SMILE, la guitare à corde éparpillée et ricochant, qui serait presque sortie d’ambiant folk à la Fennesz, même si je penserai plus évidemment à Hood, ce groupe anglais trop injustement oublié, qui oscillait entre rêve et shoegaze noisy sur le superbe édifice de Rustic Houses Forlorn Valley. Qu’entends-je soudain ? Alors que les chœurs analogiques se sont tus, que la paix est crevée, une batterie motorik surgit alors sur un MESSY ARTIST quasi-krautrock, ou la voix raconte plus qu’elle chante. Sur LIES on soupçonnerait des passés screamo à certains membres du groupe, dans la manière de saccader les salves, les guitares, un côté Aussitôt Mort ou Daïtro, et c’est presque surpris qu’on soit accueilli par des voix non pas criardes, mais calmant les ardeurs qui ne reviennent que par les battements réguliers. Ce serait comme une routine qui s’installerait sur ENTER THE DARK SIDE et THE WAY YOU SHOW YOUR LOVE, où toujours on balance entre la tension à fleur de peau (ici, des bourdons électroniques qu’on surprend derrière, là encore le son précis de guitare), et les amadouements où l’on ajoute des effets, on ralentit le rythme… Puis soudain c’est EXP et enfin on change la donne, pour s’approcher plus des choses de l’Amnesiac de Radiohead, les couches et les couches électroniques râpent, se lorgnent, s’amalgament en un bitume de sons froissés, piste à part marquant l’annonce déjà d’un dernier SHOOT ME, genre de litanie au violon qui au bout d’une minute se morphe en une piste légère, presque chill, sur l’ajout d’une boîte à rythme et de bricoles. Respiration, encore des battements, et le silence.
Voilà finalement qu’arrivé au bout, je reste un peu réservé malgré moi, un peu frustré d’une fureur adolescente qui ne se laisserait jamais tout à fait exploser, il y a eu beaucoup de très belles choses en trente et quelques minutes, et cependant je finissais plus par avoir l’impression toujours diaphane, d’une collection de musiques qui ont leurs références, accolées les unes aux autres sans plus, une collection d’atmosphères qui peut-être la faute à un studio égalisant trop le tout, peut-être ma faute à moi d’en attendre trop après le vrai coup de cœur de Boring Pools, mais peut-être aussi après tout que ce genre de mélodies suspendues sont mieux taillées pour la scène, tailler au plus près et au plus nerveux, sans fard, brut.