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Il y a dorénavant une réticence face à la pop contemporaine en langue française. Trop de groupes ou d’artistes se planquent derrière la poésie absconse, le jeu de mots, la perspective brouillée. Depuis, disons, six ou sept ans, il s’agit ou bien de camoufler l’absence de propos (voire, pire, de toute idée de propos), ou de négliger cette nécessité qui oblige le musicien à dire ceci plutôt que cela. Trop de paroles passe-partout, de formules éphémères, de brouillages volontaires ou d’intentions risiblement sociales. L’auditeur ressent la langue française, dans la musique actuelle, comme un moyen de choquer le quidam (plus c’est cru, plus les critiques aimeront), comme un emballage abscons qui pourrait faire illusion (sauf que n’est pas Murat ou Daho qui veut). La première impression est souvent la bonne : du style (encore que) mais pas de fond ; une musique friandise au service de paroles françaises qui n’ont rien à dire mais cherchent, avec prétention, à nous prouver l’inverse. Où sont le cœur, l’âme et les tripes (plutôt que le réseau social et l’égocentrisme FB) ?

Une forme d’impasse lexicale française à laquelle échappera Stéphane Milochevitch. Avec ses deux premiers albums (en anglais), Thousand était devenu un cousin territorial de Bill Callahan (en moins névrosé), une connaissance folk-pop dont nous aimions le sens de l’aventure ainsi que l’ingéniosité avérée. Stéphane tapait dans le mille car sa musique, au-delà des influences, semblait bien plus que sincère : cette pop, un peu mutante, un peu bizarre, néanmoins en connivence avec l’auditeur, traçait un sillon intime qui n’appartenait finalement qu’à elle.

Et c’est également pourquoi il semblait logique que ce musicien se frotte à la langue française et en extirpe une logique interne, une façon de faire à la Thousand. Face à ce puissant Tunnel Végétal, nous pourrions citer Bashung : langage qui marque sans dévoiler tous ses secrets, amour des mots et de leurs possibilités aussi bien métaphoriques qu’à triple sens, refus d’encercler l’auditeur dans un canevas suffocant. Oui mais, tel Bashung, Stéphane Milochevitch n’écrit pas de la poésie (ouf !) mais des compositions musicales. Les mots, leurs puissances, en français today, ne prennent jamais le dessus sur l’écrin sonore savamment concocté par l’auteur (pop ? Electro ? Chancelant ? Swing ? Slacker ?). Il y a dans ce Tunnel Végétal la parfaite liaison entre une soif musicale et le besoin, certes volontairement crypté, de parler de soi à nu, sans protection british.

Si musicalement nous n’avions jamais craint pour l’avenir de Thousand (Stéphane n’a plus rien à prouver depuis son deuxième album éponyme), Le Tunnel Végétal dévoile une prise de risque qui authentifie la peur du surplace chère à son auteur. En partant dans le français, et en acceptant le quitte ou double de la démarche (in fine gagnée avec les honneurs), Stéphane Milochevitch, tout en restant lui-même, permet à ses compositions d’atteindre un palier supplémentaire. Et, dans le même mouvement, d’enregistrer son meilleur album à ce jour. Miroir plutôt que sacrifice, donc.




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