> Critiques > Labellisés



Je suis sensible à la forme des albums. J’écoute très rarement Slanted and Enchanted de Pavement, par exemple, parce que la production me soûle. Ce qui me fascine en premier lieu dans le disque de MIA qui contient Paper Planes, en revanche, c’est le traitement sonore. Alors pourquoi la production de Sun, catalyseur principal des nombreuses réactions vomitives lues ici et là, ne m’arrête-t-il pas ?

Parce que je crois qu’au fond, je n’en ai rien à foutre de Philippe Zdar.

C’est le contrepied qui m’a toujours intéressé chez Chan Marshall. Cette fois, j’admire son idée de sortir un disque-preuve pour soi-même. Marshall joue l’ensemble des instruments sur Sun comme pour exorciser deux périodes : celle des concerts passés à s’excuser et à n’atteindre la grâce qu’entre deux fausses notes, et celle de la diva entre indé et mainstream appuyée par un super groupe avec cuivres et choristes. De toute façon, j’ai l’impression que chacun des albums de Catpower est un exorcisme, d’une part, et qu’ils contiennent tous une part d’imparfait, un aspect gênant au milieu de la beauté, d’autre part.

Son seul disque sur lequel on pourrait me contredire est Moon Pix, qui rassemble toutes les perfections en étant sans doute moins aride que les débuts et moins ambitieux que la suite. Mais précisément, je trouve qu’il y a une filiation entre Moon Pix et Sun, dans la réappropriation. Celle de l’Afrique et de la mort dans le premier, celle de la pop contemporaine dans le second. Comme Marshall le dit elle-même dans ce formidable entretien, qui m’a fait aimer le disque en l’ayant entendu une seule fois (au même titre que pas mal de haïsseurs ont certainement commencé à le bouder à la première écoute, sans creuser dans le plastique), son souhait le plus cher est qu’une chanson comme « Peace and Love » soit chantée par Jay-z. Et clairement, la plus grande influence de cet album est certainement MIA.

L’ambition de Chan Marshall de devenir une grande chanteuse populaire de son époque n’est pas nouvelle. Les codes avec lesquels elle joua le temps de deux albums étaient soul, maintenant ils sont dansants. Enfin, tout est relatif : puisque mon ami Franck y fait référence dans le versant « Fallait pas le chroniquer », j’avoue qu’en ce qui me concerne, ça n’est pas spécialement un disque qui me démange les hanches. Je le trouve même à plusieurs reprises (« Always on my own », « Real life ») assez ample et solennel, loin de la béatitude ensoleillée et superficielle à laquelle ses ennemis l’ont parfois réduit.

Quant au recours à l’auto-tune, il fait ressortir un aspect de Catpower plutôt sous-estimé, à mon avis : l’humour. Oui oui, dans ses phases maniaques, je suis persuadé que Marshall est une grosse déconneuse. La première fois que ça m’a frappé, c’était à l’occasion de ce clip.

Je regrette déjà de ne pas avoir parlé davantage du contenu. Les chansons sont bien là, en tout cas !

Je citerai pour finir « Manhattan » et la magnifique relecture de « Nothin but time » (même avec l’apparition quasi-dispensable d’Iggy Pop, qui sent plutôt l’hommage-avant-de-regretter) comme deux de mes passages préférés dans ce grand album de variété fantasmée qu’est Sun, et proposerai humblement une hypothèse tout simple. Rien n’est contradictoire chez Chan Marshall, rien n’est paradoxal dans la carrière qu’elle construit disque après disque : c’est une Américaine, voilà tout. Sun est le disque d’une putain d’Américaine. Fallait pas l’oublier.

Mickaël Mottet