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Je me souviendrais toute ma vie de la phrase d’un ami, qui du haut de ses quarante ans, me disait à moi, du bas de mes presque 30 ans, qu’avec le temps je ne m’émerveillerais plus d’aucun disque, que la redite sera le lot de la production qui me sera proposée. Je n’étais pas encore l’un des pires chroniqueurs du net, mais je donnais déjà mon avis sur tout ce qui croisait mes oreilles. Plus de dix ans après cette phrase me hante encore, me demandant si mes émerveillements ne sont pas dus à un manque de recul, une maturité tardive, ou si je n’étais pas sourd et sous le déclin. Si j’introduit la chronique de cette façon, c’est que ce « Actual Fiction », troisième album de The Patriotic Sunday m’aurait séduit à 20 comme à 77 ans, passant les barrières du temps, et bien plus encore celles de l’enclos où se regroupent les monuments, les grandes épopées musicales, les coups de géni, les disques des explorateurs. Pour vous en persuader en très peu de temps, je ne peux que vous conseiller d’aller écouter « Self Employement », morceau tentaculaire où une myriade de styles semble se côtoyer sans se mélanger dans une fusion unicolore. Il débute dans un semi dénuement, grossi ses rangs progressivement, comme si un manifestant seul, traverser un boulevard pour se voir rejoindre dans un acte revendicatif et poétique, finissant par appuyer le pas pour crier sa révolte. Des moments de Patchwork sidérant comme celui ci « Actual Fiction » en est plein, l’album étant même construit autour d’une idée simple et ambitieuse se donner les moyens de raconter des histoires, sur un style musical qui n’en a pas, sous entendu je vais vous ouvrir un livre avec une couverture inconnue et des pages au style inconnu. Il y a eu le nouveau roman dans la littérature, la nouvelle vague dans le cinéma, The Patriotic Sunday n’a plus qu’à trouver un mot à coller à nouveau pour donner le départ à ce qu’il vient d’inventer. Si Eric Pasquereau a souvent travaillé dans la solitude sous le patronyme de The Patriotic Sunday ici il est comme un Leonard Cohen qui s’entoure de voix féminines pour souffler sur des ailes d’ange, comme un Will Oldham qui utilise sa vie comme pour alimenter un roman, avant de faire de sa vie un roman, la nuance est là. Effacé derrière ce patronyme, Eric Pasquereau parle de lui, du temps qui passe et qui laisse des traces, de la vie qui s’épuise sans nous épuiser, de la mélancolie qui nous sert à ne pas devenir trop heureux. Il utilise cette matière, comme un Lewis Carroll rock, croisant sa réalité dans le prisme de la fiction, affublant ses personnages d’oreilles de lapin ou des têtes de chat, brouillant les échelles. Il en fera autant avec sa musique, éclatant les formats pour leur donner des allures de puzzle bancale mais plus attractif. Tournant évident dans la carrière de The Patriotic Sunday, « Actual Fiction » est une œuvre majeure, un disque comme on croise que rarement dans une vie, nous rendant encore plus mélancolique d’une vie aux rebondissements éclairées et inspirés. Eric Pasquereau en douze morceaux vient d’aspirer le temps et le colorer. Prodigieux.