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Ce disque, La Bonne Aventure, beaucoup vont en admirer la surprenante dynamique. On entend par là et le magnétisme immédiat qui nous happe quand on en démarre l’écoute avec «  Le Clou dans le Bois de la Croix ». « Des fois (sic) l’ouvrage dépasse la ruine » (pour paraphraser l’auteur / compositeur / interprète qui chante néanmoins le contraire, ne vous y trompez pas). 

Et la façon de chanter hypnotique de Stéphane Milochevitch  « Comme un Aigle » qui nous emporte dans un flot qui fait flow (ce n’est pas pour rien si le morceau 9 est « Mississippi rêveur », le champ lexical de l’eau agissant comme un fil rouge ténu entre les textes de chaque titre de l’album). Les claviers sont discrètement présents ou carrément « kompa » (comme sur certains tubes des Antilles, des BB Brunes et d’Aline, eh oui c’est parfois du rock) . 

Mince je regrette d’avoir écrit ça, parce que ça coince ce très beau disque dans une case. Donc oublions, voulez-vous ? Pardonnée ? Merci. 

Les nappes de synthé, la guitare folk nous ramènent inexorablement au bord de rivages boueux. Les textes vers le blues ressenti à Cabourg, à Sarranda, à Ste-Maxime, à Natchez… Wow la mer scintille, le soleil caresse la surface de l’eau, c’est féérique mais il y a pourtant des poubelles qui flottent, des sacs plastiques… Le courant - pour celles et ceux qui écoutaient déjà Thousand vous connaissez « le truc » - le courant nous engloutit sous la poésie crade du quartier.

Thousand c’était le premier projet de Stéphane Milochevitch. Il propose aujourd’hui, sous son nom, de sublimer ce point de départ musical : c’est comme si le caniveau (« the gutter ») épousait la Lune… Le truc carrément impossible, ben lui il y arrive. 

« Comment ? » me demanderez-vous ? C’est comme si on posait la question à une fucking boule de cristal, impossible d’y répondre. Sauf peut-être en imaginant qu’un auteur aussi sensible que Stéphane Milochevitch se soit nourri de mille-et-une cultures dont on devine les reliefs sur son travail visuel.

Parce que Stéphane dessine, en plus que de ses nombreuses activités artistiques. Je comprends mieux les superbes pochettes d’albums et de singles, ces très beaux patchworks qu’on croirait sortis de l’ Arizona autant que de masures roumaines, au fond desquelles (Albertine et ses stéréotypes au secours, enfermez-la, lapidez-la sous les hashtags !) au fond desquelles on devine, dans une semi-obscurité, des tentures héritées d’ancêtres nomades, des effigies à la Vierge et des ponchos tissés à la main par des grand - mères taiseuses. Ouais on a le droit de rêver, ça va hein ! Le sol est jonché de débris de bouteilles d’alcool, on marche dessus - et on ne peut pas faire semblant de ne pas l’entendre, le verre brisé, il craque sous les pieds. « Je commence une histoire pour finir mon verre Je me ressers un verre pour finir mon histoire Chaque bouteille me renvoie à la précédente Et comme ça en cascade je debraye en descente Qu’est-ce-que c’est que ce feu dans mon holster ‘Scuse faut que j’y aille J’ai un truc à faire ».  

C’est une mosaïque de miel et de sang que Stéphane Milochevitch - lui et sa team - parvient à produire : un western tourné partout à l’aide de mots, de musique, et d’iconographie. Les States font une pause à Paris, dans le XXème, avant de disparaître au plus profond des Balkans où on nous lira les lignes de la main : nous l’ignorions avant que ne sorte cet album, mais depuis toujours c’est la Mer Adriatique qui longe la côte Sud des U. S. A. Le trash des trailers américains sur fond de fresques mythologiques, à moins que ce ne soit du trash parisien sur fond de Montagnes Rocheuses ? Ou alors du trash rom avec pour décor la « butte de Beauregard » (ancien nom des hauteurs de Belleville) ?

Alors je vous arrête tout de suite c’est pas du Beirut ! Je tentais de définir un esprit artistique davantage qu’un style musical en évoquant l’ Europe de l’ Est hein. Parce que ça s’appelle La Bonne Aventure. Une b.o. de western, mélancolique et pas dupe… La b.o. d’un road-trip désabusé ? Je ne sais pas, ce serait plat de le réduire à ça, mais je pense néanmoins que cet album « marche » hyper bien au volant, il faudrait essayer (ADA vous tiendra au courant). En témoigne le titre 7 : « Mustang du 26 » c’est-à-dire du département de la Drôme ? On ne saura pas, on présume. Au volant d’une Mustang, à dos de mustang - sur un scooter ou dans une vieille Merco, sillonner le 26 ça fonctionne aussi. Tourner sur la petite route en sortant de Pont-de-Barret pour aller vers Crest et au retour faire un crochet par Die pour y acheter quelques bouteilles de clairette. Nous baigner s’il reste de l’eau dans le bas-fond du Roubion, nous faire sécher sur les grandes pierres plates chauffées par le soleil… Nous re-baigner, puis tout recommencer. 

Merci, Stéphane Milochevitch, de raviver quelques souvenirs ensoleillés à nos oreilles meurtries par les tubes de l’été dernier, et bravo : les prédictions sont très très optimistes pour la sortie de cet album qui agit sur nous comme une machine à rêves.

J’ai regardé dans une boule de cristal (Google) : impossible de trouver la date de naissance de Stéphane M. donc pas d’horoscope dans cette chronique - ni chinois, ni européen, aucun ! D’impuissants à tirer les cartes à quelqu’un d’aussi insaisissable (ah ben il doit être Poissons, évidemment !) nous allons devoir inventer un nouveau signe astrologique : Dooz Kawa ascendant Bertrand Belin. La carte de L’ Hermite tombant au-dessus de celle de La Maison-Dieu, bingo 2023 sera son année ! 

Les textes de Stéphane Milochevitch nous suggèrent qu’il a mille ans de vécu, mais après tout, pourquoi pas ? Le fleuve Mississippi mesurant mille deux cent milles de long, le connaître sur le bout des doigts doit bien prendre mille jours. 

Alors autant écouter La Bonne Aventure mille fois, on n’est pas prêts de s’en lasser, tant les strates de joyaux qui sédimentent cet album se superposent délicatement les unes aux autres, nous laissant entrevoir des profondeurs merveilleuses, abysses familières et immuables, parce qu’humaines en définitive. 




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