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Dans les mid-90s, le Michiganais Thomas Meluch – aka Benoît Pioulard – avait l’habitude de documenter ses promenades nez au vent (et pieds dans la boue) par des enregistrements qu’il agrémentait de chansons lo-fi et autres expérimentations folk destinées à son entourage. Depuis ses pérégrinations de jeunesse dans le Burchfield Park, il a essaimé nombre de productions – musicales, poétiques et photographiques – qu’il est difficile de recenser, collaboré avec des labels tels que Kranky, Beacon Sound et Past Inside The Present, et tracé avec délicatesse et simplicité sa route dans l’underground américain.

Cartographie sensorielle en forme d’état des lieux, le nouvel album de Benoît Pioulard fait la part belle aux images et aux sons et aux objets emmagasinés dans une mémoire qui s’efface peu. En dix-sept titres, Eidetic évoquera tout aussi bien les ravages du mercure dans la fabrication des miroirs (Nameless) que l’histoire de ses proches – la guerre du Vietnam au travers des yeux de son père (Tet), la courbure de la colonne vertébrale de sa grand-mère maternelle (Lillian Isola) et le décès de son chat (Pastel Dust). Ainsi l’on navigue de l’universel à l’intime, de trous noirs en atomes, de l’abstrait au réel, en un seul chant, un chant chanté d’une voix humaine et sensible, captée dans une cabane au fond du Maine, et accompagnée de percussions basiques, de claviers lysergiques et d’une guitare fabriquée sur mesure par un ami luthier.

A l’instant où j’écris, après une journée de bureau particulièrement merdique, il se met à pleuvoir, c’est libérateur, et cette pluie printanière offre à la lumière tombante un terrain de jeu tout à fait approprié aux volutes sonores du morceau introductif, Margaret Murie (entre autres, écologiste reconnue pour son engagement dans la préservation des sanctuaires naturels), qui introduit un Eidetic tout à fait hypnotique, par sa production folk shoegaze et ses mélodies placides, tranquillement belles dans leurs réverbérations soigneusement posées.

C’est le label berlinois Morr Music (The Notwist, Tape, Tenniscoats) qui accueille les chansons du désormais résident de Brooklyn (autres terres, autres sinuosités), et cette collaboration, à l’écoute du nouvel album de Benoît Pioulard, paraît évidente.

Tiens, la pluie a cessé, et toujours parées d’expérimentations de bon aloi, les compositions de Eidetic n’en gardent pas moins une saveur jangle pop intemporelle, entre Elliott Smith (le sens de la mélodie) et Lou Barlow (la mélodie à l’os), les distorsions et autres climats vaporeux se faisant le corollaire d’une approche naturaliste affirmée, certainement héritée des ballades de Benoît Pioulard avec son père dans le comté d’Ingham, durant lesquelles le silence des mots échangés se nourrissait certainement des gestes qui rapprochent, non dicibles et pourtant si parlants.

En ce sens, mêlant les strates sensitives et narratives, Eidetic touche en plein cœur et s’avère un album magnifique, magistral, majestueux : sans nul doute un sommet, dont le goût en bouche restera longtemps, tant son auteur fait montre de cette empathie qui manque à l’époque.




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