Je suis tombé. Mon oreille interne me jouait des tours, et ma mauvaise passe donnait à la chimie le droit de me faire perdre mes derniers repères comme pour me reconstruire. En me relevant, je croisais cette citadelle du rythme que Sébastien Brun venait d’ériger. Avec une batterie épaulée par une électronique aux textures multiples, Sébastien nous fait rentrer progressivement au début dans une forme de transe, d’étourdissement qu’un derviche tourneur pourrait maîtriser, mais il me faudra me rasseoir, sans pour autant que mon corps se désolidarise de la musique qui semblait comme occuper de plus en plus l’espace, mettant le corps comme dans un cocon sans mémoire de forme. Comme un mantra, les trois premiers mouvements du disque s’immiscent dans notre esprit, nous mettant dans un état presque second, le sol semblant lui-même n’être fixé à rien. Progressivement, le rythme chahuté rencontre des ondes contraires, traversant comme une étendue d’astéroïdes perdus. Le Chaos s’installe avant l’arrivée d’un interlude salvateur mais inquiétante, nous rappelant les vignettes sépulcrales qui habillaient l’exposition de Lynch à la fondation Cartier. Dés lors le pouls s’accélère jusqu’à devenir incontrôlable et dénué d’un rythme permettant une vie normale. Tout s’emballe, les repères volent en éclats, c’est la rencontre entre les incantations velvetiennes de John Cale et une batterie ne s’accordant aucune seconde de répits. Sébastien semble détruire la citadelle qu’il avait précédemment construite, et nous qui nous y sentions protégés, nous sommes complètement dépourvu de la moindre protection face à une chute possible. Sébastien Brun va alors laisser l’électronique prendre les reines, comme terrassé, épuisé par une bataille qui aura fait rage. Le disque se termine alors sur un cœur au repos qui lentement reprend une élasticité, l’envie de fausse routine au milieu d’un terrain en friche, comme pour rattraper le temps en accélérant sous des ondes qui distendent l’image. « Ar Ker » est un disque profondément physique, une expérience pendant laquelle les palpitations sont bien plus que des actions pour nous maintenir debout, elles sont les ressorts d’un combat contre l’immobilisme. En cela, celles que Sébastien Brun nous offre sont vitales.