Un des plus beaux albums de l’année 2018 ; de ceux qui s’écoutent, sillon après sillon, dans une délectable attention aux sons, aux éléments, à la voix, posée ici comme un élément aérien, oiseau blessé, survolant mélodiquement un paysage minéral où guitare et batterie entament une joute ardente, et pourtant complice, qui se poursuit tout au long des dix titres de l’album. La guitare alterne entre arpèges et accords, découpant des lignes simples, parfois rêches et austères, où la voix d’Emilie Zoé dépose le lyrisme de sa poésie organique : "I’m a part of the silence on this land" nous dit-elle dans Blackberries. La batterie de Nicolas Pittet, parfois sourde, comme jouée aux maillets, parfois martelée, métallique, incisive, insistant sur la tranche, ciselant une rythmique où l’on ressent toute la pulsation du cœur, nous porte inlassablement à se concentrer sur la seule mélancolie de la voix ; qui nous parle d’oiseaux blessés, de landes sauvages, de territoires indomptés.

Une voix parfois doublée par celle d’un homme, parfois par un chœur, comme dans le single Tiger song (constitué par le proche entourage de la chanteuse) qui vient rehausser d’un filon d’or pur ce qui aurait pu l’espace d’un instant nous plonger dans une torpeur abyssale. Dans cet album qui, comme son nom l’indique, est un vrai départ vers l’ailleurs, Emilie Zoé nous invite au voyage d’hiver, à nous confronter aux éléments simples du vent, de la terre, passés au filtre de l’âme ; comme ce Would you still be here qui s’achève dans un déluge sonore, un orage de montagne électrique où la foudre s’abat d’un coup sur la mélodie ; ou bien dans Loner, dernier titre de la face A, porté par un piano minimal, livré ici dans une version maquette terriblement émotive où la voix, doublée elle aussi dans le refrain, laisse transparaître différents niveaux d’intimité : le souffle, les fauteuils qui grincent sur le plancher, le mouvement léger du papier dans l’air, le bruit mouvant du studio où semble circuler un fantôme qui laisse dans sa traîne une émotion intacte ; une émotion qui nous happe et nous transporte dans un paysage sonore de haute altitude. Nous y montons par palliers et voici qu’il est impossible d’en redescendre.