Note de celui qui écrit
Kramies, ne t’étonnes plus de comment j’écris ou d’où s’en vont finir mes écrits, depuis le temps, tu sais de mes aléas et autres méandres. Ma tête folle part souvent sur des chemins égarés mais a le don de retomber sur ses pattes (un salut a ton chat), tout peut paraitre embué, mais tu me connais, je ne sais écrire le froid et l’opaque des matières, mais si écrire l’invisible et l’émotion de leurs lumières, cette critique n’en est pas une, c’est un voyage au creux de ton disque, d’autres tisseront des critiques plus formelles, appliquées, moi, en t’écoutant, je ne sais que voler.
Prologue
J’utilise l’encre, j’utilise toujours l’encre et le papier avec Kramies, comme si je devais préparer un rituel, je ne fais jamais directement a l’écran, non, je préserve la poésie des calligraphies, l’ampleur d’une page et même le son de la plume sur la feuille, je m’autorise les ratures, je m’autorise les marges. Un rituel, un rituel intime entre mes mots et moi où jouent les morceaux du chanteur-chantre à bouleverser le texte, a animer la pensée, quelque chose d’impossible sur un clavier (peut être encore un Pleyel), mais fleurissant, empirique, sur les cahiers. J’utilise l’encre, puisque c’est matière à rêve, pour émerger des multitudes d’images, souvent j’endors mon âme dans un paysage qu’il peint, quelque part où il m’emporte, un vent au ras de sol Irlandais, un navire doré d’empire colonial, un banquet de noces, un voyage des regards. J’utilise l’encre puisée dans les veines, au plus intime de moi, au-delà de chair et d’os, voyage sans temps ni terre, d’yeux clos et visions ouvertes. Kramies est un Charon a l’envers, qui vous entraine au rivage des naissances, qui vous rend la vie dans tout ce qu’elle a de vérité, d’imaginaire, de pur, la liesse qu’on croyait omise, le frisson qu’on croyait lisse, les yeux écarquillés quand ils découvrent une passion. J’utilise l’encre sur plusieurs petits blocs de notes, et chacun apporte sa magie sur ce magicien, ça fait parfois désordre, le rêve est-il ordonné ?
Intro
J’écoutais alors son disque, quand je m’endormais ainsi, éveillé, je fus enlevé a des années de moi, la plume en main, un jour de Paris, j’avais 36 ans, je crois, encore frais des Beaux Arts, je fus pris en otage par une illumination, la beauté. Il n’y a pas toujours de raisons claires a ces égarements produits par sa musique éthérée, j’aurai du logiquement me retrouver dans un plaine de la verte Erin a nommer des divinités celtiques, autant océan que roche, dont la beauté luisante et pâle d’irlandais heureux bien que sombres m’aurait rendu amoureux, mais il y a dans ces mélodies de l’art sans loi, du sensitif sans normes ni règles, la libre légèreté de l’esprit, sa malléabilité a s’épancher d’une couleur a un son, d’une saveur a un nom, il y a cette magie d’irréel, d’onirique qui ne met pied a terre que quand il touche la rive du cœur, il y a des enfermement en nous, en nos vécus, qui dépècent peu a peu les surplus et atteignent la matière prime des plaisirs, comme une fontaine de jouvence de nos émois, un retour au moment où, sans le savoir on a été éblouis. Etrangement, je me rendais ailleurs, presque à l’opposé, sans savoir au début pourquoi, mais je me souviens aussi d’avoir parfois eu l’image du "Château des Pyrénées" de Magritte en écoutant Simon And Garfunkel, ce monde est trop grand pour ne pourvoir que d’une seule image par hymne.
"Of all the places i’ve been & Everything the end"
Salle Italie, Aile Denon, premier étage, salle 711, (aussi nommée Salle de la Joconde) Aout 2006, c’est ici même que tu viens de me déposer aux premiers accords, au moment précis du merveilleux, a l’aube de ton disque. Il y a là une foule hirsute chaotiquement alignée dont les hauteurs variées décrivent des chaines montagneuses sur l’ocre rouge du mur, les japonais touchent malgré leurs traditions et phobies les corps des européens, c’est une masse armée d’appareils photos et des premiers portables, les flashes font des orages sur les petits cadres alentours. C’est un golem de dos, figé du regard sur le sourire de la Gioconda, dans un silence presque violent, gênant, qui valse a petit pas, pris dans un embouteillage de moutons, les œillères fixées aux angles du cadre de la Mona qui semble a chaque cliché plus infime, ceci est la cruelle réalité, cette bêtise pardonnable de n’avoir d’yeux dans cet espace que pour l’énigme froide des commissures, je pourrai sans doute poser sur cette image des milliers de chansons de variétés délavées, voire même le bruit blanc, un larsen. Kramies est ailleurs. Je tourne le dos, en face de l’œuvre de Leonardo, est placé l’immense et imposant "Noces de Cana" de Véronèse, chatoyant, éclaboussant, mais que personne ne regarde, dédain de la Joconde, bêtise du monde, moi, je viens de m’y noyer dedans, entre les invités au mariage, sans être ni bienvenu, ni répudié, là vient de me porter Kramies. Mon âme c’est figée sur cette main qui surgit derrière l’épaule du joueur de flute, a l’ombre des luthiers, au milieu de tout, a l’ombre de la lumière du christ, main qui crève la blancheur de la nappe, qui n’a vraiment de corps, qui s’écarquille comme un soleil, c’est ça, l’instant Kramies, ce petit détail dans l’ombre qui défini le monde, ces petits coups de pinceaux qui eux seuls, détournent le réel vers le rêve, le passage aux dimensions belles et aimantes, ceci, est la belle réalité, celle qui n’a de définition. Kramies est le détail hypnotique, qui attire à nous l’impalpable bonheur des infinies possibilités, le super pouvoir de tout pouvoir. Kramies, ce sont ces cinq doigts a part de tout, sans espace propre ni temps en propriété, un détail presque inconscient qui épelle le monde, qui vous accroche l’œil et tout ce qui vit derrière, un micro monde où les possibilités sont effet dominos, des frontières molles, malléables comme une légende enfantine, et tout ce qui entoure chacune de ces phalange est un univers autant inutile qu’incroyable. A Kramies, je lui ai donné le nom de mage, de troubadour, des noms de rivières et d’éther, je l’ai défini comme la part intime des rêves et comme l’universalité des songes, je lui donne désormais l’état solide de la beauté, l’état gazeux de l’art. Peu importe les soixante, ou plus, personnages de la scène (quoique j’y laisserai les luthiers et ce flutiste pour au moins raccorder mes idées volages au sujet), et surtout, peu importe la Mona Lisa, importe cette foule qui sans le savoir, adulant autre chose, fait déjà partie de sa seule présence des chansons de notre chanteur, puisque chacun de ceux qui écouteront ce disque auront une scène a conter, une histoire vécu d’une autre manière, dans l’aura de Kramies, importe cette main, l’inoubliable monde ou vit Kramies. Il est l’autre côté de la Joconde, la face cachée de l’idole, cette peinture grandiose, illimitée biblique tant elle se nourrie de songes, il est l’ampleur d’un chef d’œuvre tout autant que le détail de cinq doigts, autrement dit, l’autre univers, celui de la poésie cachée, intime, l’intérieur de nous. L’intérieur est une zone de confort que l’on colore suivant la nécessité, rien qu’a nous, ce jardin secret, cet espace vital d’un, où l’on permet naissance et inexistence par besoin d’être bien, la recherche du bonheur, même si dehors les heurts, ici, en dedans, on fait semblant, mais on sourit (mieux que Mona Lisa, ceci-dit), on a peint les murs comme on les aime, souvent transparent d’en dedans et opaques depuis l’extérieur, on l’a meublé de nos berceaux et des lits défaits, des tables familiales, et d’un tourne disque où notre chantre apaise nos doutes de possibilités infinies, effaçant les pourquoi par des pourquoi pas, ici psaumes, ici hymnes, ici lettres d’amour. A chaque disque, il défie un peu plus les gravités et les matières, il offre des impalpables armures et des châteaux sans domiciles fixes, des médecines naturelles que l’on veut bien croire, et tant pis si il ment, on est bien dedans, il distille l’alcool des cliquetis et des cordes pour aveugler nos réalités, certes, mais n’a-t-on pas de plus en plus besoin d’irréel ? Kramies est une invitation à cloitrer les yeux, a abandonner l’apesanteur, a s’ôter la chair et les os, a toucher l’essence même de nous, cette main sur la nappe blanche, la seule importance qui existe-résiste, Kramies peint l’âme, d’un son profond, d’un mot volatile, d’une guitare légère autant que puissante, abasourdissant nos retours au monde vrai, nous maintenant en vol, au dessus des plaies. Kramies c’est le détail d’un froissement de feuille dans l’arbre, là, tout près de ce château irlandais où il vient de trouver un énième souffle a sa guitare. Il ouvre les portes d’autres univers, mais reste, impassible, le détail infime sur sa grande toile, une main brune détachée sur la nappe des noces. Bien sur il faudra parler de ces chansons, une a une, chose que je laisse aux professionnels mieux dotés que moi, qui seront vous dire que le rythme lent est aussi rythme de marche mi-funèbres, mi-belliqueuses, rythme imposé par ses guitares qui bombent leurs cordes comme un rythme cardiaque, appuyant a chaque fois un peu plus sur la mélodie, qu’on y ressent la patine irlandaise pour le froid dans les profondeurs, et puis qu’il a fait un pas de plus, côtoyé par Jason Lytle, vers un summum du dream-folk, ou tant d’autres étiquettes pour un artiste qui les mérite toutes et plus encore, la si intelligente utilisations des claviers en arrière plan, décors fantastiques et fantasques, la technique de voix de phrases par secousses qui renforcent le sentiment de marche, moi, je suis resté sur un détail, comme cette main il y a des décennies a Paris, un détail de poids, Kramies, simplement, me fait croire au divin, a l’éternelle jeunesse, au rêve sur terre comme dans les cieux, a mon intérieur, a l’art.
Outro
Tu vois, Kramies, une fois encore j’ai divagué comme on dérive, de Paris jusqu’en Irlande, d’une main d’un tableau de Véronèse jusqu’à une branche d’un château irlandais, il est si difficile de rester réel a ton écoute, il est si difficile d’avoir les pieds sur terre, qu’on prend même du plaisir a retourner a nos réalités munis de tes images, on se sent invincibles d’âmes, je t’ai dit en privé l’amour que propulse ta musique, puisque l’amour est plaisir, le pas en avant que tu fais a chaque nouveau cadeau sonore, ce soulèvement de diaphragme que j’ai en découvrant tes étincelles, et le bonheur de figer son âme a tout ce qui bouge. Cette main des "Noces de Cana" n’avait pourtant si peux a voir avec toi, mais la magie, c’est de te savoir partout, comme une émotion nouvelle, sans nom encore, sans définition légale, te dire que tout petit détail peut enfermer ta magie, le long de la vie, et ceci, mon ami, est art.