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ADA - Votre album « Sur l’autre rive » est terminé et existe en CD déjà depuis quelques mois, ce qui, j’imagine, a dû être une émotion particulière. Mais là, le 1er juin, il a droit à « une vraie sortie » via Differ-ant. Cela doit être, pour vous, une émotion supplémentaire ?

Mikaël : Oui, l’album est sorti de l’usine en novembre de l’année dernière et nous avions organisé une campagne de précommandes sur Microcultures juste avant. C’était quelque chose qu’on attendait et dont on avait même beaucoup rêvé au début de notre activité de musicien. On a porté ce disque pendant longtemps et la sortie de l’album a été un événement libérateur. La distribution va permettre de donner une chance supplémentaire au disque de tomber entre les oreilles de gens qui ne sont pas dans notre cercle restreint d’amis.

Didier : Avec la campagne de précommandes, on avait fait le tour de nos amis et on pensait s’arrêter là mais Fabien Guidollet (Vérone et Facteurs Chevaux) nous a encouragé à franchir le pas et nous a mis en contact avec Jean-Philippe Béraud, de Martingale pour tenter d’atteindre des auditeurs qu’on n’avait pas les moyens d’approcher seuls. Dans le même temps, grâce aux échanges constructifs qu’on a eus avec Jean-Charles Dufeu (Microcultures), on a pu trouver rapidement une distribution via Differ-Ant. Avec le recul, on se dit qu’il aurait été dommage de ne pas aller au bout du projet, en se privant de cette dernière étape.

ADA- Cet album, quelle en a été la genèse ?

Mikaël : L’idée de l’album était présente depuis qu’on a décidé de former La Rive en 2008, après avoir arrêté la musique pendant 10 ans. On ne souhaitait plus faire de concerts, alors on s’est concentré sur les compositions et l’enregistrement. J’envoyais des textes à Didier sur lesquels il trouvait des mélodies. Toutes les chansons ont été maquettées chez lui et nos enregistrements ont progressé avec le temps, au fur et à mesure qu’il s’appropriait de nouvelles banques de sons. Il était indispensable pour nous d’arriver à faire sonner sur le disque les arrangements de cordes qu’il avait réalisés et on n’avait bien évidemment pas les moyens d’utiliser de vraies cordes.

Didier : À partir 2015, notre entourage nous a vivement encouragés à passer à l’acte et on s’est dit qu’on avait la matière pour un album. On est allé piocher dans la cinquantaine de morceaux qu’on avait maquettés afin d’en extraire ceux qui nous semblaient les meilleurs et les plus cohérents entre eux. On a ensuite décidé de garder toutes les pistes de basse, de guitare électrique, clavier et autres arrangements midi, et de réenregistrer toutes les parties acoustiques (guitare folk, classique) et le chant avec un meilleur micro.

ADA - Combien de temps s’est-il passé entre l’écriture des chansons jusqu’au mixage final ?

Mikaël : Certaines chansons du disque sont très anciennes. Sombre soleil et La lune datent de 2009, Cap Fréhel et La jetée de 2010/2011. Les autres sont plus récentes.

Didier : Le mixage a eu lieu fin 2016. L’enregistrement (ou plutôt, réenregistrement) de toutes les guitares acoustiques et des voix s’est déroulé en septembre / octobre 2015, sur plusieurs weekends. On a dû aussi beaucoup retravailler le son des cordes midi pour arriver à quelque chose de convenable avec ce qu’on avait sous la main comme instruments virtuels. Il a même fallu que je demande à un ami musicien multi-instrumentiste très talentueux, Yannick Rault, de rejouer une partie de piano sur son propre matériel pour avoir un meilleur rendu, alors qu’on était en mixage.

ADA - Pour moi les chansons de l’album sont toutes différentes mais elles forment un tout. C’est ce que vous aviez prévu dès le départ ou c’est venu au cours de l’écriture et de l’enregistrement ?

Mikaël : C’est ce qu’on a recherché au moment de choisir les chansons qui figureraient sur l’album. On voulait qu’il soit cohérent, aussi bien au niveau du contenu des chansons que du son. Seule Drancy dénote un peu avec ses guitares dissonantes, et aussi parce que le thème évoqué (le camp d’internement de Drancy) est très ancré dans le réel.

Didier : Même si les chansons ont vu le jour à des moments espacés dans le temps, on a cherché ensuite à les articuler, à trouver les enchaînements qui leur donnaient la meilleure cohésion possible. Les étapes du mixage (à Poptones studio, avec Jean-charles Versari), et du mastering fait par Chab (un ami de longue date qui nous a prêté un fabuleux micro Neumann U 47 pour l’enregistrement) ont chacune contribué à apporter un ciment essentiel à l’ensemble, également.

ADA - Est-ce que vous écoutez beaucoup de musique ? Qu’est-ce que vous écoutez en ce moment ?

Mikaël : J’écoute toujours beaucoup de musique mais je vais moins facilement écouter des nouveautés. Ma curiosité va plus vers des choses enregistrées dans le passé où je trouve plus facilement mon compte et le plus souvent, je pioche dans le répertoire de musiciens dont je suis archi-fan, dont certains sont disparus depuis longtemps. Les derniers jours, j’ai écouté plein de vieilles choses (Fred Neil, Richard Harris, Simon Finn) mais aussi des chansons du prochain EP de Mazzy Star, le dernier Breeders…

Didier : De manière générale, oui, j’en écoute beaucoup, mais parfois, vu que j’ai peu de temps de libre, si j’ai à choisir, je préfère en faire. Un peu à l’image de Mikaël, au fil du temps, je suis devenu moins accro aux nouveautés. Le dernier CD que j’ai acheté, par exemple, c’est une (superbe !) BO de Stelvio Cipriani (Uccidere in silenzio) des années 70.

ADA - Est-ce que c’est toujours pour vous une source d’inspiration ? Sinon quelles sont vos sources d’inspiration ?

Mikaël : Oui la musique est toujours une source d’inspiration pour moi mais pas plus que d’autres choses. Bien sûr, il y a tous les disques qui m’ont marqué, de façon indélébile, qui sont à l’origine de mon envie d’écrire des chansons mais au quotidien plein d’autres choses viennent exciter mon imagination.

Si j’y réfléchis un peu, au moment de me lancer, il faut à la fois qu’il y ait un sentiment fort, bien ancré, qui a mûri pendant longtemps et quelque chose d’immédiat, de concret, qui me donne l’illusion sur le moment que je vais pouvoir aller au bout de mon idée. Ça peut survenir n’importe où, sur le quai de la gare, mais parfois aussi en écoutant une chanson, pendant une conversation, en lisant un texte, ou après avoir vu un film, une photo, un tableau… À chaque fois, l’élément déclencheur fait écho à un sentiment personnel et profond. Je pense que ça doit être à peu près la même chose pour tout le monde.

Didier : C’est pareil pour moi. L’inspiration (ça fait un peu peur, ce mot…) peut venir de mille choses qui ne sont pas nécessairement de la musique, et il faut un élément déclencheur.

Et bien sûr, la musique garde toute sa magie et son rayonnement sur nous. En y pensant bien, par exemple, il se peut que les bandes originales de film aient été une source d’inspiration à laquelle je sois allé puiser, notamment pour les parties de cordes.

En revanche, dans notre manière de travailler qui s’est développée d’elle-même d’années en années, le texte que me proposera Mikaël sera aussi une grande source d’inspiration pour trouver une mélodie dessus. Et plus tard, pour les arrangements, ce seront les effets utilisés sur les guitares électriques - les sons, en général - qui ouvriront des espaces intérieurs et feront germer des idées.

À propos des arrangements, parfois - quand l’inspiration, justement, est au rendez-vous - je les ai en grande partie en tête, et comme je ne sais pas écrire la musique, je m’astreins à les mémoriser en les jouant intérieurement, dès que je le peux, notamment le soir avant de m’endormir, jusqu’à ce que je les aie enregistrés.

L’exercice peut devenir une obsession et s’avérer assez usant quand ça dure des semaines, avec la crainte d’en perdre un peu, à la longue.

ADA - On imagine qu’il y a eu un « avant » La Rive … pouvez-vous nous faire part de vos diverses expériences musicales qui vous ont mené aujourd’hui à La Rive ?

Mikaël : Nous avons joué en groupe de 1989 à 1998 sous le nom de Christine, des chansons essentiellement en Anglais. C’est là que nous avons fait pas mal de concerts et rencontrés d’autres musiciens comme les membres de Verone ou Watoo Watoo. Puis nous sommes chacun devenus papa et sans qu’on prenne véritablement de décision tout s’est arrêté après un dernier concert. Vers 2007, j’ai enregistré quelques chansons avec ma fille, qui m’ont redonné envie d’écrire et en 2008 je suis allé soumettre quelques compos à Didier.

Didier : Oui, c’est ça, Christine pendant 9 ans, et presque plus rien jusqu’à La Rive. De mon côté, à partir de 2005, grâce à un ami comédien/metteur en scène, j’ai composé la musique de pièces qu’il montait pour les spectacles de fin d’année de ses cours de théâtre, et également pour les pièces qu’il créait professionnellement. La confiance qu’il m’a accordée alors m’a redonné un tout petit peu foi en moi. Probablement assez pour accepter, en 2008, la proposition de Mikaël de refaire de la musique ensemble. La même année, j’avais fait également la musique d’un court-métrage pour un ami, hélas, décédé depuis.

ADA - Et qu’est-ce vous envisagez pour le futur…Des concerts ? Des collaborations avec d’autres artistes ? Un nouvel album ?

Mikaël : Un nouvel album est prévu, qu’on aimerait différent du premier et dont la gestation, idéalement, mettrait moins de 10 ans.

Didier : Quant aux concerts, on a définitivement tiré un trait dessus. On ne s’est jamais sentis à l’aise sur scène. Pour ma part, c’était même une gageure à chaque fois, et ce serait pire encore maintenant. Notre dernier live date d’il y a 20 ans… Pour l’anecdote, c’était au Glaz’art ; à part notre groupe d’alors, Christine, il y avait 2 autres formations à l’affiche, ce soir-là : Evergreen (futur Verone et Facteurs Chevaux), et Vendetta, dont la chanteuse est devenue l’une des 2 Brigitte. Sinon, pas de collaboration en vue, mais on est ouverts à tout.

ADA - Et pour terminer, vous serez où le 1er juin ?

Mikaël : Le 1 juin sera une journée comme les autres, pas de release party dans un club branché parisien, pas de concert annonçant la tournée à venir, pas de dédicace prévue dans un centre commercial ! On sera sûrement au travail une bonne partie de la journée. Un resto ou quelques verres avec des amis le soir pour fêter ça seraient les bienvenus.

Didier : Voilà, c’est ça ! À bon entendeur !

Crédits Photos (merci à lui) Matthieu Dufour