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Retour du Daniel Johnston français, moins d’une année après la douceur psychiatrique de « Nouille ». Disque hors saison bien qu’enregistré l’été dernier, « Juste un Arrondissement » pourrait s’apparenter à une fusion malade / mélancolique / déconneuse entre de la world, un zeste de pop, un chant dopé au Gurozan et une liberté d’expression absolument galvanisante. Comme il est tout de même difficile de canaliser par des mots standards la folie tendre de Laurent Jarrige, nous avons demandé au compositeur de raconter la genèse de chaque titre de son nouvel album. En sachant très bien qu’avec son naturel à mélanger délires nonsensiques et confessions soudaines, la langue Jarrige échapperait à toute forme de classification. En même temps, les propos ci-dessous ressemblent à la musique de ce poète mi trublion mi névrosé : derrière une certaine volonté de clarté (musicale, vocale, d’écriture) toujours mise à mal par un dadaïsme parfois rebutant, se dessine ici des fêlures, des inquiétudes, une pensée qui ose (à sa façon contre-nature) la générosité comme nécessité artistique. Et à l’heure où, dans la musique française, il devient coutume d’utiliser l’angle autobiographique pour amadouer et flatter le spleen de l’auditeur, saluons Laurent Jarrige pour sa crainte de trop en dire et son besoin, malgré tout, de se livrer cœur à cœur. Saint homme.

Risoul

C’est ma vieille manie d’aller vite ; je m’excuse d’ennuyer probablement, un complexe d’infériorité sans doute, alors je fais court et rapide. Pressé par l’urgence de faire ce disque avant que l’automne ne le fatigue, les compositions sont apparues avec des cadences d’animal en cage, et Risoul a profité d’un apéro pour se distendre et trouver un rythme de croisière sans noyade, réfugiée en mer calme. En ralentissant, on va pas plus loin, mais plus tranquillement on y va.

Miozane

Un jazz au bras, je faisais les boutiques de babioles de la coupe du monde après la finale, espérant une solde. Je bavais de Brésil en chantant ma malchance.

Et quand rien ne semble s’associer, jazz-brésil-malchance, je joue vite et ça se colle, par centripète.

Catalonque

Voilà mon coup de chance : un riff de glisse sur une plage de Caye Verte avec un chœur solitaire tombé du cocotier de l’îlot. Ça a coulé tout seul, au long d’une peau mate et grasse comme le monoï.

Minelo

Je cherchais une sanza non métallique, pour éviter la rouille et les idées d’instruments de guerre ; et par ailleurs je voulais une danse de terre, presque continentale. Du sol battu par des jambes habiles mais massives. J’ai trouvé les doigts de pied d’un chanteur égyptien que j’ai actionnés, délicatement au début, de mes deux pouces bien manucurés. Mais au fil du rythme je me suis laissé emporter et n’ai gardé à l’enregistrement que la voix de ses plaintes.

Masqui

Celle-ci, c’est pour faire une pause vocale exigée par ceux qui prétendent que je devrais chanter moins souvent pour mieux apprécier la musique. Ça me rappelle John McCrea (le chanteur de Cake) qui m’a conseillé de m’installer à Paris pour y faire carrière, à l’époque où il vivait au Pays Basque. Il ne craignait pas ma concurrence mais en avait assez de m’entendre. Alors je n’entame le chant qu’au dernier moment, contre toute espérance, et laisse aux timbres des trompettes le soin d’envoler les airs.

Kalia meso namaï

C’est une magie, parce que la composition est presque nulle. Ce sont les arrangements et une certaine sensualité qui envahissent le son et lui rendent charme. La jouer par exemple avec une simple voix le prouverait. Alors ça m’a dépassé, au sens où je ne pourrai jamais la jouer en solo, même si je l’aime beaucoup, de peur du ridicule.

Malega

Si je devais critiquer un morceau comme un journaliste, je prendrais celui-là. « Aux structures déhanchées comme les jeux de batterie de Mika (des Moutons tondus) où des basses dirigeantes et bagiques produisent une pop rafraichissante, rythmée par un riff de guitare acidulé ramené de ses voyages aux évocations dreamwear qui nous baladent sur un circuit dont on ne saurait présager dans quels sens tournent les prochains virages. »

Septadeire

C’est comme ça que j’aime la musique, que j’aime la faire et l’entendre. Voilà, j’assume, c’est la crème de ma sincérité. Et je tiens beaucoup à le dire parce qu’on est dans un environnement tellement escobar. Combien de groupes punks en 77 n’étaient pas inscrits à la SACEM, ces rebelles !? Au moins les rappeurs rêvent d’Amérique à voix haute : c’est l’anglaise distinguée contre la boxe à poil !

L’axe du trajet du soleil dirige les influences majeures de la musique, mais ce n’est pas désavantageux de tourner le bassin vers des lignes moins régulières. On a certes le soleil en journée mais les Américains l’ont de nuit et c’est chez eux qu’il se couche. Leurs gens ont des idées moins lumineuses et cherchent des activités qui leur permettent de se placer au soleil, de voyager. C’est pour ça qu’il y a très peu de pilotes de ligne aux Etats-Unis. Quand nous vivrons une pénurie d’électricité et qu’elle sera taxée de façon trop importante, et qu’il faudra s’en tenir aux musiques simplement chantées et rythmées par des battements naturels, les pauvres pourront toujours jouer cette chanson-là.

Kazon

Je voulais un objet à séduire, pour changer d’écriture, pour explorer des sentiments moteurs inhabituels et voir si ça changeait la musique, si ça la rendait plus appeau. J’ai trouvé un castor dans le vingtième qui m’a plu. Je l’ai beaucoup observé, discrètement, et même touché une fois. Il était doux, il avait plus de 20000 poils au centimètre carré, mais il a eu peur et s’est enfui en chiant.

Bon, j’en ai fait une salsa.

Askuxay

Une complication. Un ami me demandait de faire de la musique moins solennelle. J’ai écrit pour les tout-petits, 2-3 ans, des comptines belles et simples - enfin belles, c’est le gosse qui choisit.

Certains adorent Henri Dès, et d’autres ont des goûts que je partage mieux ; mais pour les jouer, pas pour les écouter les comptines, pour jouer avec les gosses.

C’est pas le propos de ce disque, et Askuxay, ça complique, ça cherche, ça fait chœur avec une marche en montagne. Ça fatigue je comprends, mais j’y étais et j’en témoigne cahin-caha.

Ykhul

C’est une chanson à base de samples d’Elvira Tatum qui m’a aidé à réaliser qu’il fallait prendre des résolutions lorsqu’on est de la musique. Alors j’en ai pris deux : faire les choses en gommant toujours autant le comique, et vendre mes CD à ceux qui aiment ma musique. Contrairement à ceux qui ne l’aiment pas, et à qui je continue de les donner, pour qu’ils lambinent dans leur armoire.

Crédit photos : Jean-Michel Jarillot

https://laurentjarrige.bandcamp.com/




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