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Marx Exotique est une épicerie de quartier sise rue Ordener à Paris, dans le 18ème arrondissement, et dont les usagers sur Google à priori se plaignent, le service de livraison de colis serait à chier (où est ma putain de montre sextoy boussole connectée ?), mais cela ne présume en rien de l’accueil des gérants, puisque l’on sait bien que les seuls à s’exprimer sur Internet ne le font que pour se plaindre, et donc, de base, il y a un a gros biais sociologique, et ça marche pour tout, en témoignent les réseaux saturés de gémissement et de larmes et d’atermoiements tous plus ridicules les uns que les autres, ce qui n’est pas par ailleurs une dérive contemporaine puisqu’on a retrouvé sur les murs de ruines antiques des graffitis de types qui maudissaient leurs bouchers (c’était pas du veau mais du bœuf) ou appelaient à voter pour leur chéri chéri à tunique dorée qui, en aucun cas, ne se préoccupait du petit, tout petit, peuple crasseux, avide de futilités faciles à nourrir : oui, jamais rien ne change.

Le remède à toute cette connerie, c’est Trotski Nautique, meilleur nom de groupe du monde, fingers in the noise : à coup de beats 8bit pouet-pouet et de synthés cheap et aussi d’arrangements délirants, en 23 chansons très courtes mais intenses, Aude alias Alda Lamieva et le dessinateur David Snug se moquent allègrement de nos travers, nos snobismes, nos comportements grégaires, notre empathie à géométrie variable et notre inconscient sociopathe.

Leur nouvel album, « Marx Exotique », est une magistrale leçon de foutage de gueule assumée et néanmoins jouissive : certes la production est lo-fi mais quand le groove et les mélodies sont aussi bonnes, qu’est ce qu’on en a à foutre des moyens de production ?

Le duo danse et chante et louvoie sur le fil du rasoir et nous délivre un punk synthétique easy listening ultra addictif carrément réflexif : on en prend tous plein la gueule, phrasés épileptiques, discours mordants et critiques ethnographiques – maudits soient les gens qui se collent au premier rang dans les salles à moitié vides, les blaireaux qui traînent au survendu 104 ou ceux qui mangent du pop-corn au cinéma (avez-vous comme moi constaté que le pop-corn sent l’anus ?). La connasse de quarante ans en Stan Smith, son avatar barbu tartiné de tatoos amateur de cuisine excentrique et Joey Starr – l’idole bling-bling des nazes goinfrés d’un Canal+ subventionné par l’argent public – prennent cher, et ça fait du bien de l’entendre.

Le je-m’en-foutisme de Trotski Nautique reste lexical et en aucun cas n’atteint un « Marx Exotique » en tous points libre et passionnant : il y a de vraies chansons à se mettre sous la dent (pourrie), des mélodies et des refrains à scander, sans compter les clins d’œil à d’autres artistes, notamment Grandaddy (fabuleux « Matin 180 (grand-pépère) »). Une vraie, grande, magnifique, improbable leçon de liberté.