> Critiques > Commémoration des compiles ADA



Après « Nieuport/Nieuwpoort », troisième opus paru en 2015, Dylan Municipal a pris son temps pour peaufiner les dix titres de son nouvel album, « Tigre dans le Tigre » et nous les servir sur un plateau, en apéritif d’un été caliente : c’est l’occasion de se payer une séance de ventriglisse dans le jardin, en compagnie de Gengis Khan, Kylian M’Bappé et Madonna (« V pour ventriglisse » évoque son passé de danseuse pour Patrick Hernandez – en réalité, la Madone n’a pas travaillé pour lui, qui voulait en faire une chanteuse, mais a accompagné Karen Cheryl lors de prestations télévisées). Le ventriglisse, c’est quoi ? On s’élance et on se jette à plat ventre sur une toile de plastique savonneuse et le vainqueur est celui qui glisse le plus loin. Match retour avec « Jamais marre du ventriglisse » : « à vitesse hyper modérée, je me fais même doubler par des escargots ». Je me demande si le gel de massage Nuru favoriserait la victoire.

A la dérision lucide des textes, appuyés par un chant parlé parsemé de références barrées, répondent des arrangements décalés qui tirent dans tous les sens, sans pour autant s’éparpiller, et c’est la grande force de l’album : les arpèges de guitare de « Denver d’ailleurs » sont simples et beaux, les beats électro sont (volontairement) cheap mais ne desservent jamais le propos, les lignes de synthé basse de « Le Survivant » se suffisent à elles-mêmes, et si le groove lourd de « Cologne Proxima » est oppressant, c’est pour mieux contraster avec les paroles, absurdes et néanmoins précises : « Ils ont faim de saucisses, de bière, de choux et de sushis aussi / car un jour la langue de Karl a fourché et il a commandé des sushis à la place des saucisses / sur le moment, cela lui avait causé du souci / mais après avoir goûté à ce plat japonais / il avait adoré s’être trompé. »

« Tigre dans le Tigre », c’est l’art délicat d’être sérieux, sans vraiment l’être, ou de n’être pas sérieux, mais avec sérieux.

Back to the 19ème siècle : le philosophe helléniste Victor Brochard, né en 1848 à Quesnoy-sur-Deûle, aurait servi de modèle au personnage du professeur Brichot (bavard, pédant, féru de plaisanteries et de jeux de mots médiocres) dans « A la recherche du temps perdu » et son mémoire « Les Sceptiques grecs » fut en son temps salué par Nietzsche, grand partisan de l’humour (Zarathoustra : « Hommes supérieurs, apprenez donc à rire »).

On dirait que l’air de Quesnoy-sur-Deûle, grande banlieue de Lille et mère patrie de Dylan Municipal, favorise l’émergence de personnalités ambivalentes, et puis, comme l’exprime si bien Paul Valéry, « Un homme sérieux a peu d’idées. Un homme à idées n’est jamais sérieux ». Des idées, Dylan Municipal en a suffisamment pour remplir la piscine (municipale) et s’y noyer avec panache.