> Critiques > Labellisés



J’étais pourtant fatigué, de ces fatigues typiques d’après vacances, la déprime post-vacance, ce qui est encore plus douloureux pour quelqu’un comme moi, qui ne sait arrêter d’écrire, par peur de ne pas savoir comment s’y remettre, j’étais fatigué, mes oreilles abusées de trop de sons, quelque part l’envie de ne plus écouter, de pénétrer le monde sourd. Pourtant on s’oblige à regagner le monde des ouïes plus ou moins fines, on cherche dans le panier a bruit qu’est cette adresse mail un truc qui tremble sur le bout de nos tempes, et puis on discute, mon moi et moi, les pour et contres de certains alliages, les mérites d’un jeunot, les légendes d’un morphinisé. Qui veut chroniquer untel ? Dit un message, le suivant le répète, le suivant le réitère, et puis il y a ce petit séisme soudain, ce nom que l’on connait, que l’on suit dans des reds, des réseaux, amis de pixels d’amis de pixels. Oui mais il faut écrire rapidos, me dit-on, non seulement pour être dans les alentours de son anniversaire, mais pour être enfin en avance sur notre temps, Je m’y mets.

Il y a des artistes qui cheminent leurs carrières, des sentiers plus ou moins embourbés, plus ou moins droits ou sinueux, et entreprennent leurs montées en sachant de la descente. Lui, n’a cessé d’arpenter, parfois même gravir, et la seule chose qui semble l’importer n’est pas le retour, sinon la vue qu’il aura depuis tout là-haut et son trajet est une vie, sans alentours, ni dehors, Betsch, n’a jamais su faire autre chose, que vivre. Sa musique est donc un journal secret au cadenas faible, un coffre empli de calendriers muraux où les dates blessaient ou soignaient, suivant les maux et les rires. Bertrand n’a usé de masque que le jour de carnaval, c’est bêtement humain, mais je sais d’autres qui n’ont su quitter le déguisement, je ne nie pas leur talent, sinon leur vérité. Bertrand est vrai, dans la monotonie et dans l’étincelle, bien sur il ne plaira à beaucoup et enflammera beaucoup, mais il sera là, présent en nom, corps et âme. Quand un artiste en arrive a savoir de ses mensonges et de ses réalités, quand un chanteur trouve la voix qui le peint aussi fidèlement qu’un miroir, on peut dire qu’il a apprivoisé sa vie, pas un faible mot, pas un quelconque titre, celui-ci est aussi mérité qu’une médaille. Et si le disque ne vous convient pas, et si l’homme ne vous interpelle pas, c’est qu’en cela aussi, il ne trompe pas, on entre dans sa vie ou pas, en gravissant, en arpentant, en trouvant le plus haut point de vue. La vie apprivoisée, ce n’est pas humble, c’est risqué, penser qu’en une carrière, tant de disques, plus douze titres, on peut se lever armé d’une certaine fierté et avouer qu’on a dompté ce que l’on ne comprendra jamais, mais c’est ce qui devait arriver maintenant, là, ici, a ce moment de la montée, en cet instant de sa vie. J’avais jeté une ouïe sur ces pas antérieurs, sur un des derniers podcast qu’il avait édité en forme d’un best-of qui traçait plus facilement son existence qu’une certaine cohérence. Un jour on aime, un jour on souffre. Si "toute la beauté du monde" est une entrée en matière quelque part innocente comme une enfance, une ritournelle où les lettres jouent a la magie ingénue portée par une voix parfaite actrice, un titre pénétrant et nostalgique, sa suite, "Aimez-vous les uns les autres", est un Souchon qui veut vraiment du cuir, nu de toute ironie comme un vers, heureux d’amour et de la chair autour, tout bonnement aimable, incisive aimable. "Où tu vas" prolonge cette liesse dans ce rire d’Hollywood années 30, rires exagérés pour donner conscience de l’état d’âme, feeling de petit plaisir de l’enfant au premier baiser, au crescendo électrique et tout simple, la simplicité c’est difficile, mais l’enfant Betsch y arrive. "Les inséparables" pousse la tristesse même dans les bras d’un soleil, d’un bienheureux dont la patine des instruments ne cache même pas l’âge de la joie. Morceau délicat où il s’amuse a toucher la belle folie. "Il arrivera" est une petite complainte au temps, qui se dépose comme un faisceau de lumière matinale sur nos réveils, et nous parle avec chaleur des derniers souffles, surement le thème le plus poétique de cet homme si humain, si "comme nous tous". Cette petite promenade dans la légère vie se prolonge dans le bien être des sons, " Du vent dans tes mollets" est un court petit résumé du disque, enlevé, un disque qui se sent bien malgré les vents, serein, mur, on imagine facilement le regard un peu plissé de Bertrand, plissé par ces joues soulevées d’un calme sourire. "Qui perds qui gagne" est dés lors une descente en enfer, douce, très douce petite douleur, cette peur universelle au point final qui vient saborder la naïveté de l’amour, sublimement orchestrée, plombée tout en restant aussi légère que ces précédentes. Étrangement les titres suivants sont plus éraflés, comme si l’artiste découvrait l’ombre qui naissait dans les sillons, peu à peu. "Merci" tente le retour au soleil, un certain pardon, une envie d’encore, de "Play it again Sam", mais on sait que les mercis se disent avant les adieux, c’est la syntaxe des phrases. "Les hommes douleurs" continue cette descente, s’éveille la peur latente, comme si tout ce disque fut une vie qui vient de se rendre compte qu’elle s’achève, les paroles se font plus dures, la poésie plus profonde, et la voix joliment coupable attend son verdict. "Qui je fus" avoue alors l’évidence et " En sourdine" sonne le glas, et éteint les lumières des demeures où c’est déroulée l’existence, dans une beauté qui caresse le dessus et le dessous de la peau, la vieillesse, nait, la jeunesse, meurt. Pour " Apprivoisé la vie", il faut avoir vécu chacune de ces chansons, du feu a la braise. Bertrand vient de s’offrir pour ses 46 ans une biographie intime et superbe, une histoire de lui.

Oh je vous avez averti, Bertrand est un chanteur qui vit ses chansons autant que ses chansons sont sa vie, mais je ne savais pas qu’au lieu d’une banale compilation, qu’un sans saveur best of, Bertrand fêterait son âge en recueillant tous ses moments, que non chansons, sinon instants de vie. Le cadeau, est pour nous, alors merci, Monsieur Betsch.