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Nous finissons par tout confondre, dans ces relations virtuelles sur les réseaux sociaux ou nous tissons des amitiés comme des toiles d’araignée pour une fois rassurantes, comme si l’on voulait mettre à distance sa propre solitude, se créer des remous...

Ces réseaux sociaux et ces liens forts que nous provoquons pour remplir des vides, c’est un peu comme cette relation longue que nous entretenons avec des artistes que nous suivons depuis si longtemps qu’à un moment notre conscience se brouille, nous finissons par nous imaginer en proches, en intimes avec ces gens là comme des guides...

Parfois, sur ces réseaux sociaux, on rencontre ces chanteurs qui s’imaginent déjà au plus haut, au sommet de leurs rêves quand rien n’est encore construit. Parfois, on y voit d’autres répandre l’aigreur de leurs échecs, d’autres épancher des trop pleins d’intimité à l’impudeur dérangeante...

D’un coup, cette frontière entre l’artiste, grand frère, source d’admiration et le pauvre mec névrosé comme vous se mélangent... Plus de magie, juste de la vacuité....

Combien de personnes imbues de leurs piteux tracas pour de vraies confessions ?

Mark Kozelek n’est pas de cela. Connu pour son caractère ombrageux à l’instar d’un Bill Callahan ou de Feu Lou Reed, il refuse les compromis et les compromissions, n’aime pas les échanges, préfère la fuite et ne se réveler que dans son art musical.

Quand l’impudeur devient une œuvre, l’expression d’un grand tout universel, elle devient la plus belle réponse à la bêtise de ceux qui se cherchent des maladies pour comprendre leur mal-être et leurs défaites, de ceux qui chaque jour remontent le long de la colline pour toujours se cogner aux murs de leurs limites.

Ils sont petits et ridicules ces désarrois du nombril, ces indigestes vomissures de l’égo, ces envolées ampoulées pathétiques.... Mark Kozelek n’oublie jamais d’être cruel ni cru... Pas de bon mot, pas de complaisance, pas de faux fuyant...

De la gamine devenue fille mère à 15 ans, de sa mort dans un incendie aux origines floues ("Carissa")... Du téléphone qui sonne pour toujours annoncer les larmes et les mauvaises nouvelles.

Ils sont rares les artistes qui savent parler du deuil sans s’engluer dans trop de pathos.... "Magic And Loss" de Lou Reed auquel nous penserons beaucoup à l’écoute de "Benji", "Everest" de Girls In Hawai, le "Spectral Dusk" de Evening Hymns..

La mort est toujours plus révoltante à la lumière froide de l’été, le corps toujours plus froid, le chemin qui descend vers le funérarium toujours plus long.....

Chez Kozelek, il y a toujours cette dichotomie entre la dureté des mots avec cette tendresse lointaine qu’il faut aller chercher loin et la douceur apparente musicale comme ces échos de guitare à la Victor Herrero

Toujours à l’écoute du travail de l’américain, il y a un moment où nous ressentons cette émotion difficile à décrire que Kozelek semble oublier que ces morceaux, un jour, seront entendus par d’autres.... Parfois ce sont des semonces, des menaces face aux coups à venir.

"You can be cruel all you want, talk bad on my brothers

Shoot me full of holes and I won’t by bothered

Judge me for my ways and my slew of ex-lovers

But don’t ever dare say a bad word about my mother

When she’s gone I’ll miss our slow easy walks

Playing scrabble with the chimes of the grandfather clock

I’ll even miss the times that we fought

But mostly I’ll miss being able to call her and talk."

("I Can’t Live Without My Mother’s Love")

Plus l’ancien chanteur des Red House Painters vieillit, plus le caractère apaisé semble prendre le dessus, comme les rencontres de Brassens avec Calexico, de Harry Nillsson avec Townes Van Zandt.

Un univers de détails derrière les grands deuils, les drames atroces.... Ce souvenir de sa cousine jouant de la guitare et little Mark qui comprend dans sa transe d’alors qu’un jour il fera pareil ailleurs que dans son Ohio sclérosé, qu’il parviendra à être autre chose que ce seul taiseux sans mots ("Truck Driver")

Toujours chez Sun Kil Moon, il y a ce jeu avec l’impatience, ce rapport à notre ennui, cette volonté de poids, de ne jamais vraiment se délester d’une certaine gravité.... Toujours le piège de l’ennui qui vous forcera à aller plus loin dans votre écoute de "Benji" que ce spleen nonchalant est peut-être la seule trace de pudeur comme un repoussoir des minables et des précieuses ridicules qui passeront leurs chemins. Ne resteront que ceux qui méritent leur sort...

De ses premiers émois à ses premières frustrations, Mark Kozelek toujours bavard, ne se donne jamais le beau rôle avec ces anecdotes limites du quotidien le plus insipide ("Dogs")

Chez Kozelek, pas de discours pompeux ou moraliste mais ses impressions, ses souvenirs préçis, ce gars qui part tranquillement en barque en Norvège pour commettre un massacre et l’américain de s’inquiéter de ses amis dans ce pays du Nord.... Rien de politique, juste les craintes du quotidien comme une mère qui laisse pour la première fois sa fille sortir sans elle ("Pray For Newtown")

La mort de proches, les vies échouées et ratées, les désastres intérieurs, ce Jim Wise qui tua sa femme de trop l’avoir aimé et rata sa suicide, cet ami du père du chanteur.

Règlement de comptes en forme de bilan, de déclaration d’amour à ce père dur, rigide et sévère avec des clins d’œil tant au niveau de l’écrit que de la musique à Edgar Winter et son "Hanging Around".

Qui se rappelle de son album de reprises d’AC/DC connaît la mélancolie étrange et contagieuse du bonhomme.... Ici, c’est le critique musical et bien plus que cela, l’humain qui se rappelle ce choc de ces images d’un concert de Led Zeppelin en sachant aujourd’hui tout ce qu’il s’est passé depuis.

Rarement un artiste parviendra à vous mettre en pièces, Mark Eitzel peut-être et quelques autres.... Ces types qui iront à la tombe avec leur mélancolie et leurs spectres de se perdre dans les échos de toute éternité... ("I Watched The Film The Song Remains The Same")

Toujours ce chant entre spoken word, storytelling et rap, comme un prêcheur qui ne croit plus en ce qu’il dit . Nous pensons là à Rodolphe Burger et sa science du collage, du cadavre exquis. ("Richard Ramirez Died Of Natural Causes")

Toujours l’évocation de ces freaks doux, de ces idiots du village , ces gens au cerveau un peu plus lent que les autres, cette "Micheline" qui voulait prendre un bain avec Mark. Cette Micheline comme un retour de flamme d’enfance....

Ces Micheline là ressemblent toutes, vous savez à ces poissons qu’on s’amusait à sortir de l’eau et qui ne retrouvaient jamais leur souffle, toujours inadaptés, toujours trop fragiles, toujours trop volatiles pour être des nôtres.

"Benji" travaille notre mémoire, ici nos grands-parents depuis longtemps disparus, là "Young Americans" de Bowie, ces glaces que l’on devait pousser pour les manger et qui collaient aux doigts comme une marmelade poisseuse, ces vacances quelque part en Espagne, ces explorations solitaires dans les collines avoisinantes qui annonçaient d’autres découvertes à venir et ces simplets dont on se moquait car ils nous rassuraient sur nous et que l’on finissait par envier car eux, toujours resteraient des enfants....

Où sont ils maintenant ? Dans ces instituts spécialisés sans lumière et sans poésie où ils détruisent leur ennui contre des murs sans oreille.

Où sont ils tous maintenant ? Ces gens qui désormais habitent les tombes et les albums de famille.... Les traits de leurs visages, leurs voix se brouillent et se brisent.

Puis vient le temps des détails incongrus qui de prime abord choquent, le saxophone, le ton presque enjoué, le presque est important dans l’impression. Puis nous nous rappelons du désespoir feutré de Milton, la rage tue de Tim Hardin, la noirceur décalée de Daniel Bejar et cet autre titre pour finir l’album alors qu’on n’est pas inspiré devient une nouvelle piste à suivre pour Mark Kozelek, une évolution infime vers plus de clarté ("Ben’s my friend") loin, bien loin de la paresse de trop d’euphorie.

Ici, nul besoin de palimpseste , de sybarite ou de posture de l’égo qui finalement elles sont impudiques, mal venues et inutiles quand Mark Kozelek et Sun Kil Moon par delà la confession, par delà le dialogue avec lui-même s’adresse à tout le monde.

Que les précieux du mot et de l’emphase aient y jeter une oreille, n’y comprennent rien et retournent à leur monologue. Qu’ils nous laissent notre ami Mark bien à nous....

www.sunkilmoon.com




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