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En sus de multiplier les identités (Ascalaphe, Bazaar, Brou de Noix, Esbende, Washlavok…), Fred Debief est également un boulimique de musiques que rien ne semble pouvoir arrêter. Moins d’une année après son projet électronique Brou de Noix, le revoici en compagnie de son comparse Thierry Lorée pour le troisième album de Lufdbf. Boulimique et prolifique : le duo ne se contente pas d’un seul album mais, en un petit mois, accompagne celui-ci de deux singles inédits (« Bis » et « Ter »). Facile de comprendre le pourquoi d’un tel fourmillement : avec Lufdbf, Debief et Lorée s’autorisent toutes les expérimentations, toutes les idées (même les plus folles). Le résultat est plutôt hors-norme et difficile à étiqueter. Car si, avec Brou de Noix, l’auditeur pouvait se raccrocher à certaines influences électroniques (voire indus), Lufdbf est un soleil noir dont-on peinerait bien à en définir le style : ni folk ni rock, ni chansons à textes ni vraiment électronique ; mais tout cela à la fois, dans un fascinant mélange qui sonne pourtant d’une clarté absolue, d’une évidence aussi bien mélodique qu’atmosphérique.

« Drei » est un labyrinthe textuel et sonore qui prend, à chaque titre, l’auditeur à rebrousse-poil. Bienvenue dans l’inconnu et la surprise permanente ! Comme si Mendelson et Gainsbourg décidaient de repousser les limites de l’expérimentation : encarts arabisants (déjà présents sur l’album de Brou de Noix), sample de miaulements (on connait la passion de Fred pour les chats), épures inquiétantes ou bien apaisantes, fulgurances poétiques, riffs ensorcelants (« Volage »)… Cet album fascine avant tout pour sa formidable liberté et la musicalité que réussit à en extirper le duo. Car si Lufdbf ne connaît aucune règle, aucune barrière, il ne tombe guère dans l’hermétisme ou l’inaccessible folie. Bien au contraire : « Drei », par son ambition et sa logique finale, est un disque à hauteur d’hommes ; un disque qui ne refuse jamais d’instaurer un dialogue, une connivence mystérieuse avec l’auditeur.

Et puis il y a les mots. Entre fulgurances Bashung, constats Bouaziz, lassitude Gainsbourg, Lufdbf use des images et des allusions, des interpellations (« T’es qui toi ? ») et d’infimes (intimes ?) délicatesses lexicales. Bashung disait : « j’aime bien que les gens comprennent ce que je ne dis pas ». Avec « Drei », le subjugué comprendra tout ce que Fred Debief et Thierry Lorée se plaisent à camoufler, à sous-entendre, à chuchoter… Ce sont également ces blancs qui donnent au nouveau Lufdbf un caractère aussi envoutant qu’instantanément habitable. Car ici, pas de panique : un sofa attend l’auditeur afin qu’il puisse se laisser-aller et participer à un voyage certes inconnu mais pourtant proche de lui. Ambitieusement humain.

http://lufdbf.bandcamp.com/drei