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Deux Lp et Ep inédits en quelques semaines, des projets en pagaille, la paire Lufdbf ne chôme pas. Mélomanes, exigeants, passionnants, Thierry Lorée et Fred Debief : quand les mots rejoignent la musique, et inversement. « A Découvrir Absolument » avait déjà interviewé les membres de Lufdbf, en 2012, à l’occasion de l’album « Deux »… L’heure était ainsi venue, époque « Drei » & « 4 » oblige, d’à nouveau discuter avec Fred et Thierry.

ADA : Deux ans et demi se sont écoulées entre le dernier album de Lufdbf (« Deux ») et ces deux nouveaux. Aviez-vous besoin de partir sur d’autres projets parallèles avant de vous retrouvez ?

Thierry : Non, personnellement non. J’ai un projet personnel mais c’est en gestation ; du coup, il n’y a pas de lien réel avec les moments destinés à Lufdbf… Mais dans ce que je compose tous les jours, il y a des morceaux que je destine à Lufdbf et d’autres qui constitueront mon projet solo…

Fred : Pour moi c’était important, oui… C’est la première fois que je bosse en duo… Et après cette phase de travail en flux tendu avec Thierry, entre octobre 2010 et juin 2012, j’ai eu besoin d’une pause, de me retrouver « seul aux manettes »… J’ai donc focalisé pendant plus d’un an sur un nouveau projet solo, Brou de Noix… Après la sortie de l’album (« 000 »), je me suis de nouveau senti disponible pour avancer avec Thierry…

ADA : En même-temps, on imagine que, durant ces deux années d’absence, vous avez accumulé une énorme quantité de titres. D’où la sortie de deux disques à quelques semaines d’intervalles ?

Fred : En fait, tous les morceaux qui sortent cette année ont été composés entre 2011 et 2012. On avait déjà en tête ces deux albums… et d’autres… On a donc repris ce qu’on avait ; on a retravaillé, remixé… Et comme notre label est en stand-by cette année, on a en effet décidé de les sortir en digital. Du coup, on sort un peu du schéma standard…

ADA : Il y a-t-il également, dans cette soudaine profusion, le besoin de boucler une boucle et de repartir sur de nouveaux terrains à explorer ?

Thierry : Oui ! On voulait en finir avec ces morceaux, on avait besoin de les lâcher, de s’en débarrasser pour faire autre chose… Vraiment comme un boulet qui nous empêche d’avancer… On les aime, ces morceaux… mais il fallait s’en débarrasser… D’où les deux albums coup sur coup…

Fred : Oui, nous voulions absolument sortir ces titres, mais nous avions aussi envie de passer à la suite ! C’est un exercice un peu difficile, laborieux que de reprendre des morceaux qui ont deux ans… On aurait envie de les refaire complètement ; mais souvent, on perd l’intensité, l’émotion, la spontanéité des premiers jets… On a donc fait ces six derniers mois beaucoup d’allers-retours pour décider des versions qui marchaient le mieux, entre la force des premières intentions et une production plus récente et plus léchée…

ADA : Considérez-vous Lufdbf comme un terrain de jeu où tout serait permis, sans pression, sans timing, à l’instinct ?

Thierry : Ah oui… oui… Il faut que ce soit ainsi !... Il y a suffisamment de contraintes partout, tout le temps… Si on ne s’amusait pas, ce serait juste pénible…

Fred : D’une certaine manière, oui… De toute façon, sans label et sans concert pour l’heure, nous n’avons guère de pression autre que le plaisir de tisser notre toile… à l’envie…

ADA : Dans ma chronique pour ADA, je citais Bashung, Gainsbourg et Bouaziz… Cela vous parle ? Sinon, aviez-vous des notes, des envies, des options précédemment défrichées par d’autres musiciens ? (Par exemple, avez-vous écouté l’album de Singe Chromés dont l’univers me rappelle, de façon purement hasardeuse, celui de Lufdbf ?)

Thierry : Pas plus que ça. Lufdbf, c’est vraiment mon univers et celui de Fred. On est inévitablement influencés… Mais c’est tout azimut en ce qui me concerne ; et l’idée de copier quelque chose, aucun intérêt, notre inconscient s’en charge.

Fred : Singe Chromés, je viens de le découvrir et oui, c’est un univers qui me parle (l’album tourne en boucle chez moi depuis quinze jours)… Bien sûr que ces références me parlent et me font grand plaisir… Nous écoutons tellement de choses différentes, Thierry et moi, que le champ des références est très large ! Mais, sinon, aucun musicien ou auteur en ligne de mire pour les sorties de cette année… Nous cherchons surtout à affirmer notre propre univers et à montrer des facettes encore différentes de ce qu’on veut explorer…

ADA : Comment se partage le travail de composition, de chimie oserais-je écrire, entre vous deux ? J’ai parfois l’impression d’un effet ping-pong : l’un envoi la balle, et l’autre rebondit, et ainsi de suite…

Thierry : Oui… mais il n’y a pas de règle… C’est vrai que je suis plus disponible que Fred… j’ai du temps à consacrer à ça alors j’avance… Donc c’est vraiment à géométrie variable…

Fred : Oui, le ping-pong est un mode opératoire qu’on aime beaucoup… Mais ce n’est pas une règle… On improvise aussi des fois à quatre mains… Pour les sorties récentes, c’est assez différent d’une sortie à l’autre : la musique et les arrangements de « Drei » sont quasi uniquement de Thierry alors que « 4 » a plus été composé à quatre mains… Les textes s’imposent en général assez naturellement et assez rapidement à partir des bases musicales…

ADA : De quelles matières, envies ou besoins, partent les mots ? Difficile de savoir (et c’est une excellente chose) où se situe la frontière séparant l’imaginaire de la confession publique…

Fred : Tant mieux, en effet ! A la base, il y a un « besoin »… de dire… d’évacuer des ressentis personnels… Et au final, il y a bien sûr aussi de la fiction… Les deux se mélangent… « Deux » et « Drei » étaient plus « autobiographiques »… Mais certains titres de « 4 » le sont tout autant alors que d’autres sont purement fictionnels… Il y a d’ailleurs pas mal de textes légers sur cet album, basés sur des jeux de mots – les allitérations de « Bidet » ou de « l’Expérience », par exemple…

ADA : Aussi bien musicalement, vocalement que textuellement, les disques de Lufdbf entraînent l’auditeur vers un songe éveillé qui, à tout moment, pourrait virer au cauchemar. Etait-ce volontaire ?

Thierry : Ah ah ah ! Pour ma part je suis schyzo alors la réponse est dans ta question ! J’aime toutes les frontières mais pour les briser. Ceci dit, il y a toujours de l’espoir là dedans, on n’est pas non plus au bord du suicide ! Mais c’est vrai que la société et les gens m’effraient tellement que j’en deviendrais presque schyzo ;)

Fred : Je ne sais pas… Enfin, pas volontaire en tout cas… On explore pas mal de directions musicales et textuelles différentes sur les quatre albums et deux Ep... Alors oui, il y a beaucoup de textes assez acerbes… et des atmosphères parfois inquiétantes… Mais bon, finalement, nos vies ont toutes un peu ce côté « songe éveillé qui, à tout moment, pourrait virer au cauchemar »…

ADA : Vous fuyez l’hermétisme dans lequel beaucoup de « laborantins » aiment à se complaire. Parfois, comme sur l’envoutant « Volage », on frôle le tube indie-rock… Est-ce une voie que vous aimeriez poursuivre ?

Thierry : Haaa c’est comme ça depuis le début, dans cette voie-là en tout cas, même si rien n’est volontaire. Je veux dire, s’il y a des trucs « potentiellement tubesques » ce n’est pas une volonté, cela se fait comme ça, c’est lié à l’humeur.

Fred : Oui, clairement en ce qui me concerne (enfin, pas dans l’idée de faire des tubes - ce qui n’a pas grand sens - mais dans le fait d’être accessible)… Les textes sont souvent difficiles – ou parlent des difficultés qu’on rencontre tous… Mais je pars du principe qu’ils peuvent parler à beaucoup… Cela reste pour moi un projet pop avant tout (on a été étiqueté récemment « chanson bizarre » sur un webzine – « Nova Express » -, et cela me convient très bien !).

ADA : Consacrez-vous chaque étape de la création d’un disque dans votre home studio (mastering inclus) ?

Thierry : A part pour « Deux » (le master a été fait par Norscq) mais sinon oui, on est autonomes, on essaye tout au moins mais on aimerait bien travailler avec d’autres.

Fred : Pour ces quatre sorties en effet, sans label, nous avons tout fait « à la maison »… Mais c’est un problème : autant on aime créer, arranger, autant le mix et surtout le master sont des étapes pour lesquelles on aimerait travailler avec des professionnels… Ce qui nous manque cruellement, c’est un label, une maison qui nous suivrait et nous aiderait sur ces points… Et sur la promo !

ADA : Après deux albums et deux Ep en quelques mois, vacance ou bien « Cinq » est-il déjà en route ?

Thierry : Pour l’instant, pas de « 5 ». L’idée, c’est de finir les « en cours » : Pélieu - on veut vraiment mettre en lumière ce type -, et aussi Blake…

ADA : En dehors de la musique, que faites-vous de votre quotidien ? Possédez-vous un job alimentaire ?

Thierry : Non, pas de job alimentaire. J’essaie de manger avec la musique mais c’est pas simple…

Fred : Oui, j’ai un job alimentaire… Je suis passé en temps partiel pour consacrer plus de temps à la musique… Mais je trouve désespérant qu’un mec comme Thierry qui consacre littéralement sa vie à la musique n’arrive pas à en tirer assez pour vivre décemment…

ADA : Vous écoutez quoi, en ce moment ?

Thierry : Il est 19h18 et là, on boit un verre chez Fred et c’est PJ Harvey… Sinon, j’essaye d’écouter mes voix intérieures ou la cloche proche de chez moi ou le vent. Bref, j’essaye d’être à l’écoute et je préfère en jouer qu’en écouter.

Fred : Je fais le vide… Enfin, j’essaye… (Malgré tout, ce mois-ci, Singe Chromés, l’Ep de Teho Teardo et Blixa Bargeld et le dernier Swans ont pas mal tourné…)

ADA : La suite ?

Thierry : … La suite est dans les idées… Donc on verra !

Fred : … La suite, c’est Pélieu – pour une sortie en juin -, Brou de Noix cet été et la rentrée avec Lufdbf (Blake et le prochain album), tout ça pour des sorties 2015…