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Voila fort longtemps qu’un label n’avait pas restitué la dévotion et l’attente fébrile du collectionneur fanatique. Car depuis découverte des premiers EP de Chromatics et de Glass Candy, nous avons décidé de louer allégeance éternelle à l’égard de toutes (toutes !) les productions d’Italians Do It Better et à son créateur génie (l’important Johnny Jewel). Plusieurs raisons à cela. D’abord, l’invention d’une musique aussi cérébrale que furieusement corporelle, sorte de dark disco tour à tour alanguie, planante ou enivrante selon les formations (musique qui parle aux sens et qui fait sens, donc). Ensuite, une qualité constante qui en dit long sur la mélomanie et le perfectionnisme de Johnny Jewel : car des immenses Chromatics à Glass Candy, de Mirage à Farah, de Professor Genius à Symmetry, Italians Do It Better ne s’autorise que le plus soyeux, le plus émouvant, le plus touchant (ici, le mot « mineur » est banni du répertoire). Enfin, un soin particulier accordé aux designs : un album Italians s’écoute autant qu’il s’admire (pochettes warholiennes, CD envisagés comme un mini vinyle, cohérence de la ligne esthétique, galettes de couleurs roses).

A cheval entre plusieurs projets, dédaignant les moments de répits comme les pauses du travailleur acharné, Johnny Jewel est également du genre prolifique. Alors que le dernier (double) album des Chromatics n’a pas fini de distiller ses sortilèges, et alors que nous attendons fébrilement un nouveau Glass Candy, voici enfin, ô joie, la fameuse suite à « After Dark ».

La première compilation « After Dark » (qui regroupait les principaux travaux, inédits et trouvailles de son concepteur) n’eut aucun mal, en 2007, à générer la passion folle. Et pour cause : rarement, sur un label, une compilation n’avait semblé aussi importante que les albums des artistes signés. C’est que « After Dark » s’extrayait du marasme de la plupart des compilations « vendeuses » (les Kitsuné par exemple, qui, à la longue, se chauffent à la tranquille routine) pour tenter une manière inédite d’aborder le délicat exercice de l’assemblement, du collage : véritable bloc-notes, voyage intime dans les pensées de Johnny Jewel, cette première compilation ne pouvait décemment s’envisager comme une pause ludique, comme une banale récréation entre deux chefs-d’œuvre. Au contraire : nous considérions « After Dark » comme un véritable album issu d’Italians Do It Better.

Depuis maintenant douze mois, Johnny Jewel annonçait une suite imminente à « After Dark », tout en annulant chaque nouvelle date de sortie soi-disant officielle. Mais l’inquiétude n’était guère de mise : nous savions que ce natif de Portland conjuguait le perfectionnisme jusqu’à l’obsession, la méticulosité jusqu’à s’attarder des semaines durant sur une simple ligne de basse. Autant-dire que le retard de « After Dark 2 » ne tenait qu’à la seule exigence de Johnny Jewel (le genre d’artiste qui ne publiera jamais un album, pas même une compile, tant qu’il ne s’en affirmera pleinement satisfait).

Bonheur depuis fin juin : « After Dark 2 » est enfin disponible ! Et c’est peu dire que l’accro à Italians s’en abreuve, matin, midi et soir, day in comme day out (les sorties IDIB s’accordent à tous les états d’esprit). Premier constat : « After Dark 2 » est encore plus beau que le précédent. Logique : Johnny Jewel est un musicien qui évolue à la vitesse de la lumière, un Stakhanov qui traque la perfection du moment. Or, six années séparent les deux « After Dark ». Six années durant lesquelles Johnny Jewel est fatalement devenu plus exigeant, plus attentif aux détails, plus enclin à laisser couler du temps afin de mieux cerner la cohérence d’un album. Pour preuve : si l’accro à Italians Do It Better connaîtra déjà certains titres présents sur cette seconde compile, ce ne sera pas bien grave. Une logique (sonore d’une part, de coordination ensuite) permet à Johnny Jewel de faire découvrir, sous un jour nouveau, des morceaux déjà célébrés par les intimes du label.

Débutant par le très culte « Warm In The Winter » de Glass Candy (autrement-dit : une chanson écoutée une centaine de fois en 2012), « After Dark 2 » enchaîne ensuite avec le chant très Nico de Appaloosa pour mieux rebondir avec les écrins de Chromatics, les beautés planantes de Farah, les vocoders de Mirage (Daft Punk, humilié) ou les expérimentations de Symmetry… En fin de parcours, à partir du mirifique « Intimitate » d’Appaloosa, Johnny Jewel ralentit le tempo et conclut l’affaire par des nappes angoissantes, parfois carpenteriennes, qui donnent un aspect symétrique à l’album : la disco maussade de Mike Simonneti, puis un titre lugubre de Glass Candy (énorme « Redheads Feel More Pain »). « After Dark 2 » ne donne pas la sensation de quinze titres issus de groupes éparses mais plutôt, chose rare, d’une cohérence limpide et globale dans l’agencement de morceaux en provenance d’horizons différents. Seul point de ralliement : le cerveau en ébullition de Johnny Jewel, décidemment le musicien le plus doué de sa génération.

Notre dépendance à Italians Do It Better s’explique finalement pour une raison que « After Dark 2 » met en lumière : le songwritting de Johnny Jewel s’offre comme dépourvu de références claires et se permet de flirter ainsi avec l’intemporel, avec une forme d’évanescence qu’il n’est pas toujours possible de sensiblement décrire. Car s’il serait commode d’envisager la musique d’Italians comme une rencontre alchimique entre la disco italienne et la cold-wave british, cela n’explique en rien l’accoutumance nous reliant à chaque sortie du label. La réponse à tant d’amour se trouvait peut-être dans le dernier album des Chromatics : en guise d’introduction, le groupe décidait d’attaquer par une reprise du « Hey Hey My My (Into The Black) » de Neil Young, là où les précédentes relectures d’IDIB s’accaparaient des artistes sans doute plus en phase (pensions-nous) avec les aspirations de la maison-mère (Kraftwerk, Kate Bush). Ceci lèverait une part d’ombre sur le talent de Johnny Jewel : retrouver la pureté, l’honnêteté et la sensibilité d’artistes majeurs tels que Neil Young, Leonard Cohen ou Tim Buckley, sans toutefois narguer les premiers coups de cœur musicaux issus de l’adolescence (en l’occurrence, chez Johnny Jewel, Kraftwerk et Joy Division, Donna Summer et The Cure, Kate Bush et Visage).

Une alchimie aussi parfaite qu’insoluble, une grâce dont les mots peinent à saisir l’émotion. « I Love You / We Love You » chante Ida No (de Glass Candy) sur « Warm In The Winter ». Parfait résumé des liens unissant le fan à ce label hors-norme.




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