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L’été, le fameux été que l’on attend toute l’année, est par excellence la période de rattrapage des chroniqueurs désœuvrés, coincés à Paris tandis que partout ailleurs l’on frémit, de plages en terrasses, de discothèques en glyptothèques, d’oubli de soi en soyeuses soirées pleines de promesses fallacieuses, d’autant plus lorsqu’au dessus de la Ville Lumière pluie rime avec pluie.

Et donc c’est l’occasion de se plonger dans le second album de Crimi, paru au printemps dernier sur le label Airfono (Hyperactive Leslie, Maxime Delpierre, Mazalda), le quatuor de Chambéry mené par Julien Lesuisse – le groupe porte le nom de sa grand-mère sicilienne et, à ce titre, invoque une histoire sinueuse, qui voit l’immigré se départir de son héritage culturel afin de montrer patte blanche dans les nouveaux mondes qu’il investit, faisant preuve d’une souplesse d’esprit douloureuse jusqu’à la dépersonnalisation.

Après un Luci e Guai particulièrement bien reçu par la critique, Scuru Cauru poursuit en quatorze titres la cartographie d’une culture méditerranéenne qui ne se cantonnera pas à l’Europe : si le groove oriental est de la partie, le chanteur saxophoniste, accompagné dans son excursion sensible par Cyril Moulas (guitares), Brice Berrerd (basse) et Bruno Duval (batterie), sait également nous toucher par des mid-tempos à fleur de peau, comme ce merveilleux Lu Mumentu que l’on croirait composé par Perfume Genius - voix pâle, à bout de souffle, si émouvante, sans contestation une des plus belles ballades de l’année.

De Taormine à Constantine, un pont se dessine sous nos pieds, bâti de rythmiques concassées, de synthétiseurs expérimentaux, de riffs électriques pointillistes, d’arrangements aventureux, de vocalises généreuses et néanmoins sans esbroufe, à l’instar d’un dEUS qui aurait grandi au soleil, comme sur ce Luci Darrè de longue haleine.

Il pleut peu en Sicile, mais le vent, trop chaud, trop sec, le vent rendait fou au 19ème siècle ses illustres visiteurs, à l’instar d’un Stendhal se plaignant du sirocco, qui soi-disant l’empêchait de penser. Au contraire d’une Ingrid Bergman éplorée à l’idée d’être coincée sur une terre rustre (Stromboli, magistral huis-clos de Roberto Rossellini), l’on se laissera porter par la suavité rauque des compositions de Crimi (’U Cantu Scuru évoque Nick Cave en période d’accalmie), à qui l’on pourrait faire l’amicale suggestion suivante : une collaboration avec le troubadour de la ligne 2 du métropolitain parisien, Mohamed Lamouri ?

Scuru Cauru est un album riche, dense, vénéneux, toujours surprenant, à cheval sur une infinité de registres jamais restrictifs et, en cette énième soirée parisienne pluvieuse, tandis que l’ondée martèle les toits, le nouvel opus de Crimi accompagne mes pérégrinations réflexives, magnifique compagnon de soirée, entre chien et loup, surtout loup, parce qu’imprévisible, ce qui en fait toute sa beauté sauvage.




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