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Évreux la discrète s’embrase et scintille de mille feux : après You Said Strange et Metro Verlaine, c’est au tour d’Agathe Plaisance de porter haut les couleurs mélancoliques d’une cité en déclin, dont le taux de chômage élevé ne saurait faire oublier le riche patrimoine culturel et historique – son grand-père, sous l’étiquette du parti communiste français, en fut le maire de 1977 à 2001, et son père est le chanteur du trio électro-punk Golden Romeos (dont le fendard Holidays In DDR raconte des vacances adolescentes de l’autre côté du Mur) : Agathe, forcément, ne pouvait se départir d’une certaine sensibilité socio-politique, qui innerve Beautiful Damages, premier album court et racé, publié sur le vénérable label parisien December Square (Julien Ribot, Orouni, Mauvais Sang, etc.).

L’agate est une pierre qui se caractérise par les dépôts successifs de couleurs ou de tons différents. Début de carrière en fanfare mais déjà un long parcours pour l’Ebroïcienne, diplômée des Beaux-Arts de Caen : cours de basse à la Maison des Jeunes et de la Culture d’Évreux, le déclic à l’écoute de (l’affreux) Seven Nation Army de The White Stripes, premiers concerts à l’âge de 14 ans, un EP live-acoustique enregistré dans une salle de bain (à juste titre nommé Bathroom), des références plutôt estimables (Cat Power, Michelle Gurevich et la regrettée Lhasa de Sela).

En huit titres ombrageux écrits durant la crise sanitaire, Agathe parle « de dépression, d’addiction, d’amitié, d’amour, de fête, de notre rapport à l’écologie et au capitalisme. », dans un anglais sans fioritures. Émue par la lecture de Le Complexe de la Sorcière, d’Isabelle Sorente, elle interroge son rapport à la féminité, au-delà de la sphère intime – il est venu le temps des sorcières 2.0 : l’ample ballade sixties Sweet Song évoquera tout autant Françoise Hardy que les Cranes, réverbération à l’appui.

L’ensemble est doux et délicatement architecturé, une touche de Lana Del Rey par ci (Ghost), un peu d’espagnol par là (la langue d‘Errico Malatesta et de Frederico Garcia Lorca sur Cancion para Luna), les arrangements minimalistes et aérés font des merveilles, jusqu’à un Tracker Dog qu’en sa tension striée de cordes Nick Cave pourrait reprendre avec la suave sauvagerie contenue qui était la sienne sur The Boatman’s Call.

Au fil des chansons, Beautiful Damages se tellurise : sur 6 AM le tempo gagne en intensité, on s’attend à voir The Waterboys débarquer. Les mélopées chorales, toujours pertinentes, addictives et mesurées, ponctuent une narration qui offre néanmoins toute la place aux instruments, guitares folk arpégées ou frottées du bout des doigts, piano, cordes et soli western.

Une telle libéralité, dans la manière de prendre son temps et de laisser la place au temps – aux silences, aux non-dits qui en disent plus que le dit, à l’orage deviné – éclate dans un Witches Boom final en forme de revenez-y, qui conclue magistralement Beautiful Damages : placer son meilleur morceau à la fin d’un premier album est un putain de signal fort, nous serons sans nul doute nombreux à le capter.




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