Tout commence avec des guitares électriques dont les motifs répétitifs s’emmêlent et nous embarquent dans une hypnose brumeuse : nous attendons la neige, nous attendons le brouillard, nous attendons la perte de repères.
On ne sait pas grand-chose de Gilles Deles alias Lunt, cofondateur du vénérable label We Are Unique et producteur pour Angil, Melatonine ou Half Asleep, hormis qu’il résiderait désormais en Lettonie et s’adonnerait à… bah non, on ne sait rien de lui hormis les albums prog minimalistes qu’il a disséminés ces dernières années et qui furent à l’époque chroniqués sur ADA.
Le temps fait œuvre et néanmoins les guitares de Lunt le figent : on se retrouve chez Labradford et Jim O’Rourke, fervents défenseurs d’une quiétude lysergique jamais assommante, où tout se joue du bout des doigts, à la lisière d’une distorsion qui n’est là que pour planifier les rêveries.
Quand les bandes jouent à l’envers, ce n’est que pour appuyer des arpèges minimalistes en forme de cristallisation du futur : après tout, qui sait quand vraiment il va neiger ? Field recording et cordes à peine effleurées créent des images mentales de paysages venteux, vénéneux, officieux, background d’un réel un peu crade.
Il en va ainsi des virtu neigeux, où les doigts engourdis progressent avec patience. Invariablement, on pense au travail effectué sur la bande son du déprimant jeu vidéo This War Of Mine par Piotr Musiał et Grzegorz Mazur ; la guerre commence sous les doigts d’un musicien sans filtre, qui glisse en indice sa voix torturée sur un « Auseklis » final à glacer le sang.
Guerre contre soi-même, à l’instar de nombreux musiciens, guerre contre le monde – elle est perdue d’avance -, guerre contre un passé lourd de connivences, la musique de Lunt est un assaut contre le sanatorium d’Arkham : la folie contre la folie douce guitaristique, le choix est simple, nous aussi, nous attendrons la neige, qui en quelque sorte remettra les compteurs à zéro.